Angraecum Sesquipedale

II.A. Sources de preuves de la coévolution

L’étude de la coévolution comprend les mêmes approches que l’étude de l’évolution en général. Comme dans le domaine plus large, les premières formes de preuves de la coévolution consistaient en des observations détaillées d’histoire naturelle, des descriptions de la diversité des structures adaptatives qui servent de médiateur aux interactions écologiques, et des comparaisons entre les populations et les espèces.

Charles Darwin a publié la première illustration complète de l’intrication de l’adaptation des espèces les unes aux autres et de la façon dont la complexité structurelle peut être expliquée par la coévolution dans sa description The Various Contrivances By Which Orchids Are Fertilized By Insects (1877). En comparant la forme de différentes fleurs d’orchidées et les pollinisateurs qui leur sont associés, Darwin a démontré que certaines caractéristiques des papillons de nuit sont nécessaires pour réussir à obtenir le nectar de la fleur, caractéristiques qui sont en effet présentées par leurs pollinisateurs spécialisés. En limitant la collecte du nectar à quelques pollinisateurs, les orchidées augmentent la probabilité de fécondation croisée. La correspondance entre la fleur et la forme du pollinisateur est telle qu’en observant l’éperon nectarifère de 29 cm de long de l’orchidée malgache Angraecum sesquipedale, Darwin a prédit l’existence d’un papillon pollinisateur doté d’une trompe de cette longueur. Un tel papillon, Xanthopan morgani praedicta, a effectivement été découvert 40 ans plus tard.

La description des modèles d’utilisation des plantes par les larves de lépidoptères a précédé le concept de coévolution de fuite et de radiation. Les taxons supérieurs de papillons se nourrissent souvent d’un seul groupe de plantes à fleurs. Si certains se nourrissent de plus d’une famille de plantes, celles-ci ont tendance à être étroitement liées ou à avoir des biochimies similaires. Par exemple, les larves de la sous-famille des papillons Pierinae, ou blancs, se nourrissent principalement des familles Capparaceae et Brassicaceae, qui sont étroitement liées. Certains blancs se nourrissent également de membres de la famille Tropaeolaceae qui partagent avec les autres familles la production de glycosides d’huile de moutarde et d’un acide gras rare. Ces régularités impliquent un rôle important des métabolites secondaires des plantes dans la détermination de l’utilisation des hôtes des papillons. Étant donné que ces composés affectent le comportement des herbivores, agissant souvent comme des moyens de dissuasion, la chimie secondaire peut avoir constitué la caractéristique clé qui a permis à la plante de s’échapper.

Les comparaisons entre les populations conspécifiques ont également été suggestives de coévolution. Le motif de coloration du papillon Heliconius erato, dont on pense qu’il est un signal aux prédateurs indiquant le dégoût, varie parmi les populations d’Amérique centrale et du Sud. Il est frappant de constater que la coloration des ailes de H. melomene, un congénère tout aussi désagréable dont le cycle de vie et la préférence pour les hôtes sont distincts, varie géographiquement en parallèle avec H. erato. On pense que ce modèle est un exemple de coévolution du mimétisme entre des espèces proies qui partagent un prédateur. Fritz Müller, un contemporain de Darwin, a été le premier à suggérer ce modèle particulier de coévolution pour expliquer les similitudes dans le motif des ailes parmi les espèces de papillons peu appétissants appartenant à deux genres distincts (Ituna et Thyridia).

Müller a également introduit l’utilisation de modèles mathématiques pour étudier le processus de coévolution. Les modèles mathématiques et de simulation informatique modernes peuvent intégrer la génétique des populations, la génétique quantitative, la théorie des jeux évolutifs et la théorie de l’optimalité. La modélisation mathématique s’est avérée utile pour décrire la dynamique des interactions entre les espèces et pour déterminer quelles conditions favorisent la coévolution.

Bien que les interactions écologiques ne se « fossilisent » généralement pas, l’analyse des archives paléontologiques a fourni certaines preuves de coévolution. Par exemple, l’apparition à l’Ordovicien des céphalopodes prédateurs est associée à l’apparition simultanée de plusieurs stratégies défensives de la part de leurs proies (par exemple, forte sculpture et enroulement chez les gastéropodes et les céphalopodes à coquille, épines chez les échinodermes), suggérant une coévolution diffuse entre les prédateurs et leurs proies. L’ancienneté de certaines interactions peut également être déterminée par l’examen de fossiles d’espèces existantes. Plusieurs familles de plantes possèdent des structures (domatia) qui abritent des acariens, lesquels attaquent les ennemis des plantes. Des domatia similaires à la forme moderne ont été découverts dans des feuilles fossilisées de l’Éocène, il y a 55 millions d’années !

L’âge relatif des clades de taxons associés est pertinent pour démontrer une coévolution ou une cospéciation corrélée. Ces processus seraient nécessairement exclus si un groupe était beaucoup plus ancien que l’autre. L’âge d’une association, ou des adaptations liées à l’interaction, peut souvent être estimé à partir de phylogénies avec calibrage temporel (par exemple, en utilisant des horloges moléculaires approximatives ou des fossiles de groupes souches). Des preuves moléculaires provenant de palourdes vésicomyides des profondeurs et de bactéries endosymbiotiques oxydant le soufre dont elles dépendent pour se nourrir indiquent que les clades en interaction ont tous deux environ 100 millions d’années. Ces deux lignées semblent avoir été en étroite association depuis leur origine et s’être coparentées, comme l’indique le niveau remarquable de congruence entre leurs phylogénies estimées. Les informations phylogénétiques deviennent également pertinentes pour vérifier si un caractère est une adaptation pour une interaction écologique ou une caractéristique ancestrale qui existe en l’absence de l’interaction.

Dans certains cas, il a été possible de documenter les gènes particuliers qui affectent l’interaction d’une espèce. H.H. Flor a trouvé plusieurs gènes dans le lin (Linum usitatissimum) qui fournissent une résistance à la rouille Melampsora lini. La virulence de la rouille est déterminée par un ensemble de gènes complémentaires, dans une relation biunivoque. Cette étude a inspiré le modèle « gène pour gène » (voir section VI, A), qui est devenu un paradigme de la phytopathologie. Cependant, la plupart des caractères ont une base génétique complexe, impliquant de nombreux gènes. Une telle complexité nécessite une approche génétique quantitative, qui sépare la variation du caractère en composantes génétiques et environnementales. Cette approche a démontré que de nombreux traits pertinents pour les interactions présentent une variabilité génétique, c’est-à-dire qu’il existe un potentiel de coévolution. Par exemple, on pense que le panais sauvage (Pastinaca sativa) et son herbivore associé le plus important, la pyrale du panais (Depressaria pastinacella), sont engagés dans une coévolution médiée par l’évolution des furanocoumarines et des mécanismes de détoxification de l’insecte. May R. Berenbaum a documenté la variation génétique à la fois dans la production de furanocoumarines et dans la capacité de la pyrale à métaboliser ce groupe de toxines végétales.

La génétique quantitative est également utilisée pour mesurer les corrélations entre les traits. La détection de corrélations génétiques négatives indique des compromis entre les traits, de sorte que la sélection pour l’augmentation de la valeur d’un trait entraîne une diminution de la valeur du trait corrélé. Les compromis sont particulièrement importants pour expliquer les contraintes de l’évolution, et notamment pourquoi les espèces sont spécialisées. Les clones du puceron du pois (Acyrthosiphon pisum) prélevés sur deux plantes cultivées (luzerne et trèfle rouge) présentaient une meilleure aptitude lorsqu’ils étaient élevés sur la plante sur laquelle ils avaient été prélevés, ce qui suggère une adaptation locale. La corrélation génétique négative dans la fitness entre les cultures peut contraindre l’évolution des clones généralistes, car ceux-ci seraient surpassés sur l’une ou l’autre des plantes par des clones spécialisés dans les cultures.

La mesure de la variation génétique et de la corrélation entre les traits offre des informations sur le contexte génétique dans lequel la sélection peut agir. Les corrélations entre les traits et la fitness suggèrent la forme et la direction de la sélection. Dans une étude en serre, le panais sauvage a montré une corrélation génétique négative entre la concentration de plusieurs furanocoumarines et le nombre de graines, suggérant que la production de ces produits chimiques peut imposer un coût à la reproduction en l’absence de la pyrale du panais. Ces corrélations négatives n’ont pas été détectées sur le terrain, ce qui indique que la présence de furanocoumarines augmente la valeur adaptative en présence de l’herbivore. Idéalement, de telles études sont réalisées dans un cadre naturel, car notre intérêt ultime est de comprendre comment la sélection naturelle fonctionne dans la nature, mais on peut utiliser des systèmes modèles en laboratoire, comme des populations évolutives de bactéries et de bactériophages.

Enfin, les études sur les espèces en interaction sont généralement basées sur l’analyse de communautés uniques. Cependant, la plupart des espèces sont composées de nombreuses populations locales, et une importance croissante a été attribuée à la structure géographique des espèces et de leurs interactions. Dans la distribution d’une interaction, il est probable que l’on observe une mosaïque de pressions de sélection résultant de la variation des facteurs abiotiques et biotiques, et de l’histoire démographique et génétique particulière des populations locales. Certaines localités peuvent être des points chauds de coévolution, c’est-à-dire des sites de coévolution réciproque, tandis que dans d’autres, la sélection peut être unidirectionnelle ou n’agir sur aucune des deux espèces. La variation géographique des résultats est encore modifiée par le flux génétique entre les populations. Par conséquent, il faut s’attendre à des degrés différents de coadaptation entre les populations. Il est clair que notre compréhension de la dynamique d’une interaction entre espèces nécessite l’étude de nombreuses communautés et de processus interpopulationnels.

Quelques cas qui satisfont aux exigences des études multipopulationnelles à long terme ont émergé récemment et ont renforcé notre besoin d’une théorie de la coévolution en mosaïque géographique. Par exemple, les structures de résistance et de virulence de Linum et Melampsora (dont il a été question précédemment), étudiées en Nouvelle-Galles du Sud, varient parfois de façon spectaculaire selon les populations et le temps. La fréquence des génotypes sensibles du lin affectera la fréquence locale d’une souche particulière de la rouille du lin, mais on a constaté que d’autres facteurs jouaient un rôle, à savoir la dérive, l’extinction et la migration des populations voisines. La structure géographique du lin et de la rouille s’est avérée être un facteur essentiel pour expliquer la persistance de l’interaction.