Batholith

7.15.6.1 Composition des eaux souterraines et des fluides salins dans le batholithe granitique du Lac du Bonnet, Manitoba, Canada

Le batholithe du Lac du Bonnet est un granite vieux de 2,6 milliards d’années situé sur la bordure occidentale du Bouclier canadien, à environ 100 km à l’est de Winnipeg, au Manitoba. Il a été étudié en détail parce qu’il était l’emplacement du laboratoire de recherche souterrain du Canada (URL) et était une installation de recherche du programme canadien d’élimination des déchets nucléaires de haute activité. L’installation a été fermée en 2010 après 25 ans d’exploitation.

Plus de 100 forages ont été réalisés jusqu’à des profondeurs de 1 km dans le granite pour étudier les variations de la géologie, de la mécanique des roches, de l’hydrogéologie et de la géochimie de la roche. Les eaux souterraines dans les fractures, les failles et la matrice rocheuse ont été échantillonnées à l’aide de diverses techniques (Gascoyne, 2002, 2004 ; Ross et Gascoyne, 1995) et ont montré une zonation distincte avec la profondeur.

Les eaux souterraines peu profondes sont généralement des eaux diluées (TDS < 0,3 g L- 1) Ca-Na-HCO3 et montrent parfois des indications de mélange avec des eaux souterraines Ca-Mg-HCO3-SO4 provenant de sédiments de recouvrement riches en argile qui recouvrent fréquemment le granite. Les eaux souterraines plus profondes sont soit des eaux diluées Na-Ca-HCO3, soit des eaux contenant des concentrations importantes de Cl et de SO4. Plus la profondeur augmente, plus on trouve des eaux Na-Ca-Cl-SO4 dont la salinité augmente. Les eaux souterraines de fracture les plus salines de la région ont été rencontrées à une profondeur d’environ 1000 m et ont une salinité allant jusqu’à 51 g L- 1.

La large gamme de salinité (deux ordres de grandeur) entre les eaux souterraines près de la surface et à une profondeur de 1000 m est principalement due à l’augmentation des concentrations de Na, Ca et Cl avec la profondeur, et les différences entre chaque zone de fracture sont une indication de l’interconnexion limitée de ces zones (Figure 14). Dans certains endroits, les eaux souterraines peu profondes ont une forte signature de chlorure et indiquent une décharge des eaux souterraines salines plus profondes à la surface. On a constaté dans ces zones une décharge localisée de gaz He, un autre indicateur, plus sensible, de la décharge des eaux souterraines.

Figure 14. Représentation schématique des compositions des eaux souterraines dans la zone de location de l’URL montrant les voies d’écoulement des eaux souterraines et les motifs géochimiques dans les zones de fracture

(reproduit de Gascoyne M, Davison CC, Ross JD, et Pearson R (1987) Saline groundwaters and brines in plutons in the Canadian Shield. Dans : Fritz P et Frape SK (eds.) Saline Water and Gases in Crystalline Rocks, Special Paper, vol. 33, pp. 53-68. Ottawa, ON : Association géologique du Canada avec la permission de l’Association géologique du Canada).

En revanche, les ions tels que HCO3 montrent une diminution graduelle, d’une valeur de surface de ~ 250 à < 10 mg L- 1, à mesure que la salinité augmente. Le sulfate augmente jusqu’à un niveau maximum d’environ 1000 mg L- 1 et tend à diminuer dans les fluides plus salins. Ces caractéristiques indiquent un contrôle de la solubilité par une phase minérale peu soluble (calcite et gypse, respectivement).

Le pH des eaux souterraines varie également avec la profondeur. Pour les profondeurs de 0-200 m, une large gamme de pH (6,5-9,3) a été déterminée, les valeurs les plus basses reflétant l’influence des eaux de recharge acides, riches en matières organiques dissoutes et en CO2 provenant de la zone du sol. En dessous de 200 m, la plupart des eaux souterraines se situent dans la gamme de pH 7,5-8,8. Le potentiel redox des eaux souterraines (mesuré en Eh à l’aide d’un capteur à électrode) montre une tendance générale de diminution du Eh avec la profondeur (de + 500 mV à la surface à < – 100 mV en profondeur). Le redox est contrôlé par deux processus principaux : l’oxydation des matières organiques dissoutes dans les zones peu profondes et le couple redox Fe(II)/Fe(III) dans les minéraux tels que la pyrite (sulfure de Fe), la biotite (silicate de Fe) et la magnétite (oxyde de Fe), en profondeur. La concentration élevée d’uranium dans les eaux souterraines proches de la surface est un indicateur clair du potentiel redox. Les eaux souterraines au-dessus d’environ 200 m de profondeur dans le substratum rocheux ont des teneurs en uranium de 50 à 1000 μg L- 1, alors qu’en dessous de 250 m, elles contiennent < 10 μg L- 1.

La plupart des eaux souterraines peu profondes et diluées (c’est-à-dire à faible concentration de chlore) dans les zones de recharge contiennent du 3H à hauteur d’au moins 10 TU. La teneur moderne en 3H des précipitations est d’environ 15 TU. Ceci indique que ces eaux souterraines ont eu un temps de résidence relativement court dans le système d’écoulement et que la plupart ont été rechargées au cours des ~ 50 dernières années ou, au moins, contiennent une partie de l’eau qui s’est rechargée au cours des 50 dernières années. Plusieurs eaux souterraines, dans la gamme de profondeur 50-250 m, contiennent significativement plus de 20 UT et peuvent indiquer la présence d’eaux souterraines qui se sont rechargées pendant les essais de bombes atomiques atmosphériques dans la période 1953-63.

La relation entre δ2H et δ18O pour les précipitations locales, enregistrées à Gimli, Manitoba, pour la période 1976-79 (δ2H = 8 δ18O + 7,47) est proche de celle des précipitations météoriques globales. Toutes les eaux souterraines sont proches de cette ligne, ce qui indique qu’elles sont d’origine météorique. Les eaux souterraines diluées ont la composition isotopique des précipitations modernes (δ18O = – 13‰ à – 14‰). Cette plage peut être considérée comme représentant la composition des eaux souterraines rechargées pendant les périodes climatiques chaudes comme actuellement. En revanche, les eaux souterraines saumâtres (dans la gamme de Cl de 200 à ~ 8000 mg L- 1) ont des valeurs de δ18O jusqu’à 7‰ plus basses, ce qui suggère qu’elles ont été rechargées dans le substratum rocheux pendant un climat plus froid, soit glaciaire ou postglaciaire, peut-être il y a 10 000 ans. Ce type d’eau souterraine se trouve dans les principales zones de faille perméables de la région, à une gamme de profondeur de 200 à 600 m (figure 14).

À des salinités plus importantes, les eaux souterraines ont des valeurs δ2H et δ18O comparables à celles des eaux souterraines modernes. On en déduit donc que ces eaux salines ont été rechargées lors d’un événement climatique chaud, similaire au présent et, comme elles sous-tendent les eaux saumâtres de climat froid, elles sont probablement plus anciennes.

Les eaux souterraines échantillonnées dans les fractures subverticales près de la surface et dans les zones de faille jusqu’à ~ 500 m de profondeur ont des valeurs de δ13C qui varient entre – 21‰ et – 11‰ et des valeurs de 14CDIC entre 6 et 80 pmC. A l’exception d’une diminution de la teneur en 14C avec l’augmentation de la profondeur, peu de tendances dans ces données peuvent être observées. Les eaux de recharge Na-Ca-HCO3 ont des valeurs de δ13C comprises entre – 18‰ et – 11‰, et les eaux souterraines Na-HCO3 et Na-Ca-Cl plus salines dans les zones de fracture plus profondes ont une gamme de – 21‰ à – 14‰, avec la grande majorité d’entre elles entre environ – 17‰ et – 13‰.

En revanche, le 14C montre une variation plus prononcée tout au long du régime d’écoulement : Les niveaux de 14C dans les eaux de recharge Na-Ca-HCO3 varient de 80 pmC dans la proche surface à environ 10 pmC à des profondeurs plus importantes. Les eaux souterraines Na-Ca-HCO3 et Na-Ca-Cl qui se déversent le long des zones de fracture ont des niveaux de 14C entre 5 et 54 pmC. Ces données indiquent que le 14C est un paramètre utile pour distinguer les eaux souterraines peu profondes et à circulation rapide des eaux plus profondes dans les zones de failles où la circulation est plus lente et plus restreinte, ce qui est similaire aux résultats rapportés par Tullborg et Gustafsson (1999). Malheureusement, en raison des problèmes de contamination par des sources modernes de 14C (par exemple, l’atmosphère et l’eau de forage résiduelle à haute teneur en 14C) et en raison de l’influence des interactions eau-roche, le 14C est peu utile pour déterminer les temps de résidence des eaux souterraines salines plus profondes.

Récemment, il a été possible de recueillir les fluides interstitiels de la matrice rocheuse granitique non fracturée en utilisant des forages en pente ascendante au niveau 420 m de l’URL. Ces eaux sont des fluides CaCl2 hautement salés (~ 90 g L- 1) qui ont une signature isotopique unique. Les valeurs de δ2H et δ18O sont toutes deux d’environ – 15‰, une composition qui les place bien à gauche de la ligne d’eau météorique et également au-dessus et à gauche des eaux minières les plus salines du Bouclier canadien.

La forte teneur en 2H des fluides interstitiels suggère qu’ils pourraient provenir de saumures basales non diluées dont le δ2H est proche de 0‰. L’échange de 18O avec la matrice rocheuse va déplacer les fluides vers la gauche, d’une composition typique des saumures sédimentaires, à leur position actuelle au-delà de la ligne d’eau météorique. Les fluides interstitiels du granite gris peu fracturé sont clairement uniques dans le batholithe du Lac du Bonnet et diffèrent sous plusieurs aspects des eaux souterraines salines trouvées dans les fractures. Leur caractère chimique et isotopique indique systématiquement un long temps de résidence de ces fluides dans la matrice rocheuse.

Pour rendre compte de l’origine des eaux souterraines hébergées dans les fractures, certaines preuves géochimiques (rapports Na/Ca élevés, rapports Br/Cl faibles et valeurs δ34S de type marin du SO4 dissous) indiquent que les saumures Na-Cl basales ont pu pénétrer dans le granite par les zones de fracture et évoluer vers des eaux souterraines dominées par le Ca sur de longues périodes de temps géologique. Il est donc possible que les fluides interstitiels soient en fait des saumures basales, dérivées de ces fluides de fracture adjacents, qui ont évolué géochimiquement et isotopiquement vers leur composition actuelle, sur des périodes aussi longues que 109 ans. Ces fluides interstitiels présentent les mêmes valeurs 87Sr/86Sr que la roche entière, ce qui est très rare dans les systèmes eau/roche. Cela implique un équilibre isotopique et peut-être chimique entre le fluide et la roche (Mclaughlin, 1997). L’atteinte d’un tel équilibre suggère un long temps de résidence pour les fluides.