Démocratie, justice et égalité dans la Grèce antique : Perspectives historiques et philosophiques
Les idées de démocratie, de justice et d’égalité étaient centrales dans la pensée politique de la Grèce antique et le restent pour nous aujourd’hui. Pourtant, les grandes différences culturelles entre l’Antiquité et la modernité mettent inévitablement une certaine distance entre les préoccupations antiques et les nôtres. Néanmoins, la perspective historique et culturelle joue un rôle indispensable dans la compréhension de soi, et ce volume cherche à offrir une telle perspective. Dix de ses treize chapitres portent sur Platon, Aristote, ou les deux. L’accent est donc résolument mis sur la philosophie plutôt que sur l’histoire, bien que la plupart des articles accordent une certaine attention aux questions de contexte. La qualité des contributions est variable, mais plusieurs chapitres apportent un éclairage nouveau ou une vue d’ensemble particulièrement utile de leur sujet. Une grande partie du volume n’intéressera que les spécialistes de la philosophie ou de la politique grecque ancienne, mais quelques chapitres mériteraient un lectorat plus large parmi les philosophes et les étudiants qui réfléchissent à la justice, à l’égalité et à la démocratie de manière plus générale.
Après l’introduction éditoriale, le volume s’ouvre sur deux chapitres historiques qui exposent le contexte économique, social et politique dans lequel Platon et Aristote ont mené leur réflexion. Le chapitre de Josiah Ober intitulé « Institutions, Growth, and Inequality in Ancient Greece » résume les preuves et les arguments de son récent ouvrage The Rise and Fall of Classical Greece : selon les normes pré-modernes, le monde grec classique a connu une croissance économique exceptionnellement élevée et, à Athènes, des niveaux d’inégalité des revenus historiquement bas, tous deux principalement motivés par « des règles équitables et une concurrence féroce » (24). Dans son article intitulé « Economic Inequality, Poverty, and Democracy in Athens » (Inégalité économique, pauvreté et démocratie à Athènes), Claire Taylor s’intéresse à la manière dont la démocratie athénienne a contribué à améliorer la pauvreté pour beaucoup, tout en la reproduisant pour d’autres. Taylor présente un traitement nuancé des idées grecques sur la pauvreté, et elle s’appuie de manière fructueuse sur des travaux récents en sciences sociales sur la relation entre démocratie et richesse. Ces deux chapitres reproduisent en grande partie du matériel déjà publié ailleurs, mais ils fournissent des perspectives importantes pour comprendre et évaluer les points de vue philosophiques discutés dans les chapitres restants.
Ces chapitres restants vont de larges enquêtes sur leurs sujets à des arguments interprétatifs plus étroits. Le chapitre de Gerasimos Santas intitulé » Platon sur les inégalités, la justice et la démocratie » offre un aperçu magistral de l’égalité et de l’inégalité dans la République et les Lois. Le chapitre est précieux pour sa vision synoptique, mais il fait aussi deux autres choses particulièrement bien : il établit des distinctions utiles entre les différents types et sources d'(in)égalité, et il clarifie les différents rôles que les principes normatifs et les hypothèses empiriques jouent dans la réflexion de Platon à leur sujet. Santas note que toutes les stratégies évoquées par Platon pour résoudre « le problème de la distribution de la justice sociale » (162) – égalité stricte, égalité proportionnelle, planchers et plafonds, limites de la distance entre les mieux et les moins bien lotis – trouvent des parallèles dans les discussions modernes ; et même si peu de gens voudront suivre Platon en détail, Santas montre que sa pensée sur ces questions est plus sophistiquée qu’on ne le pense parfois. On pourrait souhaiter un engagement plus critique à l’égard de Platon de la part de Santas, notamment dans l’évaluation des passages de la République aux Lois. Néanmoins, le chapitre constitue un excellent point d’entrée pour quiconque s’intéresse à ces sujets.
Georgios Anagnostopoulos’ ‘Justice, Distribution of Resources, and (In)Equalities in Aristotle’s Ideal Constitution’ fait pour Aristote une partie de ce que Santas fait pour Platon, mais avec un agenda philosophique plus critique et constructif. Anagnostopoulos note que si Aristote est profondément préoccupé par l’égalité et l’inégalité, sa discussion de la meilleure constitution dans la Politique VII-VIII n’applique apparemment pas son principe de justice distributive (articulé dans NE V.3, élaboré dans Pol. III.9-13) à la distribution de la richesse et des autres ressources. Ce principe s’applique à la distribution des fonctions politiques en fonction du mérite, mais la distribution des autres ressources est guidée par » des préoccupations sans rapport avec la justice » (213), comme la minimisation ou l’élimination des conflits entre factions et la satisfaction des besoins des citoyens. Anagnostopoulos trouve cette caractéristique de l’argument d’Aristote déconcertante, et il répond en essayant de construire des arguments pour montrer qu’Aristote pourrait justifier beaucoup des mêmes conclusions en faisant appel à son principe de justice distributive. Il poursuit en affirmant que ce principe devrait ou du moins pourrait avoir conduit Aristote à des conclusions différentes en ce qui concerne les femmes, les ouvriers, les marchands, les étrangers résidents et les esclaves.
L’aspect constructif de l’approche d’Anagnostopoulos ne parvient pas à convaincre, en particulier parce qu’il exige une interprétation du » mérite » selon laquelle les besoins d’un citoyen comptent comme un mérite pertinent. Cette interprétation semble incompatible avec la conception du mérite d’Aristote, selon laquelle le mérite pertinent pour la justice distributive est la contribution de chacun à un objectif commun (Pol. III.12 12823a1-3). Anagnostopoulos explore la possibilité de traiter certains besoins (ceux de la santé ou de l’éducation, par exemple) comme pertinents pour la contribution des citoyens aux fonctions civiques, mais cette manœuvre semble ne pas traiter les besoins eux-mêmes comme une base de distribution ; elle répond aux besoins des citoyens non pas parce qu’ils sont les besoins des citoyens, mais parce que les citoyens seront plus efficaces dans leur travail si leurs besoins sont satisfaits. Cette approche menace donc de réduire le souci de la ville pour ses citoyens à un souci de leur efficacité en tant qu’instruments politiques. Pourtant, comme le reconnaît Anagnostopoulos, Aristote justifie de nombreux arrangements de sa constitution idéale en faisant directement appel aux besoins des citoyens.
Nous trouvons une approche plus fructueuse de ce problème dans ‘Aristote on Inequality of Wealth’ de Paula Gottlieb. Gottlieb se concentre non pas sur la meilleure constitution de la Politique VII-VIII, mais sur la deuxième meilleure constitution de IV.11. Elle soutient de manière convaincante qu’Aristote tente d’améliorer les propositions de Phaléas de Chalcédoine en faveur de l’égalité des terres (critiquée dans la Pol. II.7) et d’éviter le type de distribution des richesses en » sablier « , courant dans les nations modernes. Plus largement, cependant, Gottlieb soutient que les réflexions d’Aristote sur l’égalité et l’inégalité dans la richesse et les autres ressources sont guidées non pas par des principes de justice distributive, mais par des préoccupations concernant les conflits entre factions et la stabilité, d’une part, et la promotion de la vertu, d’autre part :
Dans sa discussion sur la constitution moyenne, Aristote n’aborde pas la question de savoir qui mérite la richesse. Il décrit un système dans lequel la plupart des gens peuvent jouir d’une quantité mesurée de ressources. L’intérêt de ce système est de libérer tout le monde des vices, en particulier du vice de la cupidité (pleonexia), un vice opposé à la vertu de justice. (266-7)
Nous pouvons pousser plus loin l’analyse de Gottlieb en identifiant le problème fondamental de l’approche d’Anagnostopoulos. Pour Anagnostopoulos, les considérations qui ne sont pas des considérations de justice distributive ne sont pas du tout des considérations de justice. Pourtant, les considérations sur lesquelles Gottlieb insiste, et qu’Anagnostopoulos reconnaît, sont des considérations de justice ; elles appartiennent à ce qu’Aristote appelle la justice comme légalité, ce que les commentateurs appellent souvent la justice « universelle » ou « générale ». La justice en tant que légalité n’est pas d’abord une question d’obéissance au droit positif, mais de visée du bien commun et d’action pour » produire et protéger le bonheur et ses parties pour la communauté politique » (EN 5.1 1129b17-19). Les chercheurs ignorent trop souvent la justice en tant que légalité, comme si elle présentait un intérêt minime pour Aristote par rapport à ses espèces » particulières » de justice. En fait, l’une des caractéristiques les plus surprenantes et décevantes de ce volume est sa négligence quasi-totale de la justice aristotélicienne en tant que légalité et bien commun. Gottlieb ne relie pas explicitement son traitement de l’inégalité à la justice comme licéité, mais elle pointe dans la bonne direction : le but d’une polis aristotélicienne est le bonheur de ses citoyens, et c’est ce but, et non les considérations de mérite en tant que telles, qui conduit la réflexion d’Aristote sur la façon dont une cité devrait attribuer et gérer des ressources telles que la richesse, l’éducation, les professions et autres.
Bien sûr, Aristote limite infâmement la portée du bonheur et de la vertu que visent ses constitutions idéales, approuvant l’esclavage, excluant ou marginalisant les travailleurs manuels et les marchands, négligeant les étrangers résidents et refusant la citoyenneté aux femmes. Anagnostopoulos consacre une grande attention à ces exclusions chez Aristote, et Santas se penche sur des questions similaires concernant Platon. Dorothea Frede a écrit « Equal but Not Equal : Plato and Aristotle on Women as Citizens » de Dorothea Frede examine ce que les deux philosophes pensent de la citoyenneté des femmes et pourquoi. Les lecteurs familiers de ces questions n’y trouveront que peu de surprises : les limites et les motivations de l’égalitarisme apparent de Platon dans la République ne satisferont pas les préoccupations féministes, les Lois accordent plus de droits et de possibilités aux femmes que les cités grecques contemporaines mais ne plaident guère pour l’égalité, et le Timée représente une « déchéance » dans son traitement des femmes comme naturellement inférieures aux hommes ; l’exclusion intransigeante des femmes par Aristote ne découle pas d’une misogynie personnelle mais de son engagement envers une sorte de conservatisme naturaliste qui identifie trop facilement ce qui est habituellement le cas avec ce qui est naturel et approprié. Les universitaires qui ont défendu d’autres interprétations ne trouveront pas de raisons solides de réviser leur point de vue. En particulier, Frede ne s’engage pas pleinement avec les arguments contre ses affirmations controversées que l’égalitarisme de la République ne s’étend pas à la classe productive et que la compréhension d’Aristote de la psychologie des femmes ne les considère pas comme constitutionnellement akratiques.
De même, d’autres chapitres se concentrent sur des questions spécifiques. L’article de Christopher J. Rowe intitulé » Platon sur l’égalité et la démocratie » aborde un ensemble de questions plus restreint que son titre ne le suggère, s’attachant en particulier à savoir si l’inégalité des richesses en soi justifie l’inégalité du pouvoir. Rowe défend une réponse négative et soutient que les critiques de Platon à l’égard de la démocratie sont plus limitées qu’on ne le pense souvent. Catherine McKeen et Nicholas D. Smith, ‘Like-Mindedness : Plato’s Solution to the Problem of Faction » de Catherine McKeen et Nicholas D. Smith propose une interprétation prudente de l’homonoia platonicienne, souvent traduite par « accord » ou « consensus » mais considérée ici comme une similitude psychologique qui sous-tend les accords permettant de résister à la faction. L’argument, qui s’appuie sur le rôle de l’homonoia dans l’Alcibiade I pour éclairer la République, est convaincant, mais il n’est pas clair s’il indique une solution au problème de la faction significativement différente de ce que d’autres ont trouvé chez Platon. L’article de Deborah K. W. Modrak intitulé « Virtue, Equality, and Inequality in Aristotle’s Politics » explore le rôle qu’Aristote accorde à l’égalité dans sa description de la faction et son analyse des constitutions. Elle découvre un compte-rendu » psychologiquement perceptif » (256) du désir d’égalité dans l’explication de la faction et un rôle normatif pour guider les tentatives d’équilibrer les intérêts de classe concurrents, mais trouve les principes impliqués très indéterminés.
Terry Penner’s ‘Inequality, Intention, and Ignorance : Socrate on Punishment and the Human Good’ se propose d’appliquer ses interprétations riches et controversées de l’éthique et de la psychologie socratiques aux problèmes contemporains d’inégalité raciale et de classe dans l’éducation et la punition. En fait, le chapitre n’aborde l’inégalité que de manière indirecte, car l’argument central de Penner préconise l’abolition pure et simple du châtiment, et non son application équitable. Ceux qui ont suivi le travail de Penner sur Socrate liront ce document avec intérêt, mais ceux qui sont plus concernés par la philosophie de la punition trouveront probablement ses affirmations trop invraisemblables pour être prises au sérieux. L’argumentation de Penner repose sur des affirmations très controversées selon lesquelles « aucun d’entre nous n’a jamais la moindre idée de ce que nous faisons intentionnellement » (116), que ceux qui font du mal à autrui se font du mal à eux-mêmes et ne parviennent donc pas à atteindre leurs véritables objectifs par ignorance, et que personne ne devrait être puni pour une quelconque forme d’ignorance. Penner offre de la matière à réflexion sur les hypothèses qui sous-tendent la pratique de la punition, mais les partisans des théories standard de la punition ne trouveront pas beaucoup de défi ici.
Les deux points forts du volume, à mon avis, sont ‘Aristote sur la liberté et l’égalité’ de David Keyt et ‘Aristote sur la démocratie et le marché’ de Fred D. Miller. Ces deux chapitres contiennent du matériel publié ailleurs, mais chacun apporte une contribution précieuse à la compréhension d’Aristote, et ils devraient s’avérer d’un large intérêt pour les lecteurs ayant un intérêt général pour ces sujets.
Keyt considère le compte rendu explicite d’Aristote de la conception démocratique de la liberté et de l’égalité et reconstruit son compte rendu implicite de leur conception aristocratique. S’inspirant de l' »analyse triadique » bien connue de Gerald MacCallum sur la liberté en termes d’agent, d’obstacle et de but, Keyt distingue la liberté juridique (« liberté d’un être humain par rapport à la servitude imposée par la loi »), la liberté personnelle (« liberté d’une personne de poursuivre ses propres buts ») et la liberté politique, elle-même divisée en liberté civique (« liberté d’un citoyen face aux entraves à sa liberté personnelle imposées par le système politique dans lequel il vit ») et liberté de la polis (« liberté d’une polis face aux entraves à son autonomie, ou auto-gouvernement, imposées par une autre polis ou nation », 227-8). Les conceptions démocratiques et aristocratiques de la justice chez Aristote impliquent des conceptions différentes de ces libertés, en particulier de la liberté personnelle, qui à leur tour façonnent leurs conceptions divergentes de l’égalité. La reconstruction par Keyt de la conception aristocratique de la liberté est hautement plausible, bien qu’Aristote laisse suffisamment d’implicites pour permettre un désaccord sur les détails. Le chapitre brille vraiment dans son analyse de la conception démocratique.
Alors que certains ont rejeté le traitement de la démocratie par Aristote comme une distorsion polémique, Keyt montre que la conception démocratique telle qu’Aristote la comprend est cohérente et au moins quelque peu attrayante : Les démocrates d’Aristote sont des « anarchistes dans l’âme » (228), mais ils reconnaissent les avantages de la vie en commun dans une communauté politique et valorisent donc l’égalité dans le fait de gouverner et d’être gouverné comme un moyen de préserver leur liberté personnelle tout en profitant des fruits d’une coopération politique positive. Keyt ne soutient pas qu’Aristote représente fidèlement les idéaux démocratiques athéniens, mais il montre avec succès que la conception démocratique décrite par Aristote n’est pas une caricature, mais au moins l’ébauche d’une alternative sérieuse à son propre idéal aristocratique. Cet idéal aristocratique apparaît également comme plus cohérent et plus attrayant que ses critiques ne le permettent parfois. Dans les mains d’Aristote, il autorise de graves inégalités, mais les démocrates de l’Antiquité acceptaient nombre de ces mêmes inégalités en excluant les femmes, en approuvant l’esclavage et en privilégiant les citoyens par rapport aux non-citoyens. Bien que Keyt ne l’exprime pas en ces termes, le conflit fondamental entre les démocrates et les aristocrates d’Aristote partage de nombreuses caractéristiques des conflits qui persistent aujourd’hui entre les partisans de la neutralité libérale et du perfectionnisme politique. Cet article récompensera non seulement les spécialistes d’Aristote, mais aussi les historiens, les théoriciens politiques et les philosophes sensibles à l’histoire de ces concepts et de ces débats.
Le chapitre de Miller commence par la critique d’Aristote des formes extrêmes de démocratie au motif qu’elles accordent la citoyenneté non seulement aux travailleurs manuels, mais aussi aux marchands et aux personnes engagées dans d’autres occupations commerciales. L’antipathie d’Aristote pour les activités commerciales est bien connue mais mal comprise. Il partage cette antipathie, du moins dans les grandes lignes, avec Platon, et un point de vue courant la rejette comme un simple préjugé aristocratique hérité. Miller résiste à juste titre à cette tendance ; quel que soit le rôle que les préjugés de classe ont pu jouer dans les opinions d’Aristote, il a défendu ses jugements sur la base d’arguments philosophiques qui méritent une analyse et une évaluation minutieuses. Ces arguments dépendent en partie des thèses générales de sa théorie éthique, mais aussi de son analyse des pratiques commerciales. Après avoir passé en revue les principes de base de l' »éthique de la vertu » d’Aristote, Miller analyse le troc, l’échange commercial et la recherche du profit, la banque et le prêt à intérêt, ainsi que la spéculation sur les marchandises. Il développe ensuite une expérience de pensée du type familier de la terre jumelle : nous imaginons une terre comme la nôtre et un philosophe comme Aristote, sauf qu’il a, d’une manière ou d’une autre, pris connaissance et accepté les principes de base de la microéconomie moderne. Si cet Aristote de la terre jumelle, » Aristecon « , reconsidère le troc, le commerce, la banque et la spéculation sur les marchandises à la lumière de ces principes, soutient Miller, il parviendra à des conclusions sensiblement différentes de celles d’Aristote, malgré l’acceptation des principes éthiques et politiques d’Aristote.
La compréhension par Aristote des gains mutuels du commerce lui permettra de voir comment chacune des parties à l’échange peut bénéficier et se retrouver avec « la moyenne par rapport à lui » même s’il n’y a pas d’égalité objective dans les objets échangés, et même lorsque l’une ou les deux parties font un profit. De même, sa compréhension des préférences temporelles lui permettra de considérer le prêt et l’emprunt à intérêt comme un échange potentiellement équitable qui attribue à chacun la moyenne qui lui est relative, tandis que son appréciation des rôles du risque et de la connaissance dans une économie lui permettra de considérer la spéculation sur les marchandises non pas comme une exploitation, mais comme ayant une fonction sociale précieuse. Aristote propose également une critique plus générale du commerce, jugé contre nature dans la mesure où il traite la richesse comme une fin en soi ou comme un moyen illimité de satisfaire les appétits. Aristote voit plutôt que l’argent, comme la médecine, peut être et est souvent subordonné à des fins plus élevées qui limitent la poursuite de la maximisation de la richesse. L’argument d’Aristote pour exclure de la citoyenneté les personnes engagées dans des entreprises commerciales repose sur l’idée que les activités commerciales impliquent nécessairement des actions vicieuses ou cultivent un caractère vicieux. Miller démontre avec force que ce point de vue repose à son tour sur une compréhension du commerce incompatible avec l’économie moderne.
Les critiques ayant des sympathies thomistes ou marxistes peuvent douter que les principes microéconomiques de Miller suffisent à saper les théories aristotéliciennes du juste prix ou la perversité de l’échange à la recherche du profit. Même ceux qui sont totalement en paix avec les théories économiques dominantes de la valeur et de l’échange pourraient raisonnablement douter qu’Aristecon ait raison de rejeter les inquiétudes concernant les effets corrupteurs de la recherche du profit. Le principal intérêt du chapitre de Miller est toutefois de montrer que l’hostilité d’Aristote à l’égard du commerce ne découle pas directement de sa théorie éthique ou politique plus large. De même, les principes économiques modernes dont parle Miller ne sont pas nécessairement en contradiction avec les idéaux plus larges d’Aristote, notamment celui de promouvoir et de protéger le bien commun par la réglementation de la propriété et de la richesse. Anagnostopoulos met en évidence certains des problèmes graves qui découlent de l’insistance d’Aristote pour que les citoyens évitent idéalement les tâches de production de richesse. Le chapitre de Miller montre que la production de richesses et le commerce n’entrent pas nécessairement en conflit avec les objectifs de vertu et de bonheur. Pourtant, on peut imaginer qu’Aristote, si ce n’est Aristecon, insisterait sur le fait que la cité a un rôle important à jouer dans la prévention d’un tel conflit. Peut-être les néo-aristotéliciens contemporains devraient-ils penser de même.
Ce volume constitue un ajout précieux à l’érudition. Il est dommage que seuls les riches pourront se le permettre.
Ce volume constitue un ajout précieux à l’érudition.