Des bébés souris « s’éteignent » pour survivre au froid extrême sur les plus hauts sommets des montagnes

C’est le début de l’année 2019, et le biologiste Jay Storz a du mal à respirer. Il vient de se rendre au sommet du Llullaillaco, un volcan chilien qui fait environ les trois quarts de la hauteur du mont Everest, à la recherche d’une rumeur.

À cette hauteur, l’air est ténu, il n’y a donc pas beaucoup d’oxygène et chaque pas est un effort. Le collègue de Storz, Mario Perez Mamani, repère du mouvement parmi les rochers et Storz se met en action. Il réussit à l’attraper et s’assied en souriant. Dans son poing se trouve l’animal vivant le plus haut dans le monde : Une souris à croupion jaune (Phyllotis xanthopygus rupestris).

Je suis un biologiste canadien qui fait partie d’une équipe internationale de scientifiques dont fait partie Storz ; nous étudions les souris des sommets des montagnes pour apprendre comment les animaux s’adaptent aux environnements extrêmes. Lorsqu’il s’agit de vivre en altitude, les petits rongeurs et les lagomorphes (parents des lapins) sont les champions incontestés de la haute altitude, des Andes à l’Himalaya. Notre espèce d’étude, la souris sylvestre nord-américaine (Peromyscus maniculatus), se trouve du niveau de la mer au sommet des plus hautes montagnes Rocheuses, ce qui lui confère la plus large gamme altitudinale de tous les mammifères du continent.

Survivre à des environnements extrêmes en tant que chiot

Les sommets des montagnes sont parmi les environnements les plus extrêmes sur Terre, et de nombreux sommets sont glacés toute l’année. Pour les petites souris, cela peut constituer un gros problème. Leur surface est importante par rapport à leur masse, elles perdent donc rapidement de la chaleur.

La plupart des animaux à sang chaud comme les oiseaux et les mammifères – les endothermes – utilisent l’énergie de la nourriture pour produire leur propre chaleur et empêcher leur température corporelle de descendre trop bas. Les mammifères utilisent des muscles pour frissonner ou un type spécial de graisse appelé tissu adipeux brun qui produit de la chaleur sans frissonner. Les muscles qui frissonnent et la graisse brune ont tous deux besoin d’énergie et d’oxygène pour produire de la chaleur.

L’oxygène est en quantité limitée au sommet d’une montagne, mais les souris de haute altitude ont trouvé un moyen de contourner ce problème. Les populations des Highlands de la souris sylvestre nord-américaine, originaire des Rocheuses et des Montagnes blanches, ont évolué pour maximiser la production de chaleur. Leur graisse brune et leurs muscles squelettiques sont des machines à brûler les graisses, et leurs systèmes cardiovasculaire et respiratoire spécialisés fournissent tout l’oxygène et le carburant nécessaires. En maximisant la production de chaleur, une souris adulte a plus de chances de survivre au sommet d’une montagne froide.

Générer de la chaleur pour survivre

Certains mammifères naissent avec des mécanismes de génération de chaleur entièrement fonctionnels. Mais pour de nombreuses espèces, ces systèmes arrivent à maturité après la naissance. Chez ces animaux – dont les humains et les souris – la graisse brune mûrit en premier et prend en charge la production précoce de chaleur.

Au niveau de la mer, la graisse brune d’un bébé souris met environ huit jours à se développer. À ce moment-là, les bébés, ou petits, ont triplé de taille et commencent à avoir de la fourrure. Dans deux semaines à peine, ils seront assez grands pour quitter la maison, mais ces premières semaines sont périlleuses. Le risque élevé de prédation et les coûts énergétiques de la croissance font que moins de la moitié des bébés souris nés dans la nature atteignent l’âge adulte.

Mais les souris de haute altitude ont évolué vers une stratégie surprenante pour aider à survivre à cette première étape de la vie : elles se laissent refroidir. Nos recherches ont révélé que les systèmes de production de chaleur des souriceaux de souris sylvestres de haute altitude mûrissent lentement par rapport aux souris de plus basse altitude. Lorsque nous avons examiné les gènes responsables de ces traits, nous avons constaté que, tant dans la graisse brune que dans les muscles squelettiques, les voies métaboliques associées à la production de chaleur étaient désactivées chez les petits de haute altitude, qui devaient compter sur leur mère pour se réchauffer.

Une main tenant une très jeune souris.
Un petit de souris sylvestre nord-américaine âgé de 10 jours. À cet âge, un chiot de plaine est capable de rester au chaud en utilisant de la graisse brune spécialisée produisant de la chaleur. Les petits natifs des hautes altitudes ont évolué pour retarder la maturation de ce tissu. (Cayleih Robertson)

Les mères rongeurs s’assoient sur leurs petits pendant l’allaitement, les gardant bien au chaud. Si les petits ne peuvent pas produire leur propre chaleur, leur température corporelle va lentement baisser chaque fois que la mère est absente.

Tolérance au froid

Les humains font de l’hypothermie si notre corps baisse de 2 C, donc cela peut sembler dangereux. Mais les bébés souris sont remarquablement tolérants au froid. Leur température corporelle peut chuter presque jusqu’au point de congélation pendant des heures, pour se réchauffer à nouveau lorsque leur mère revient.

Nos recherches nous amènent à penser que les souris de haute altitude conservent leur consommation d’énergie pour grandir, plutôt que de rester au chaud. La combinaison du froid et du faible taux d’oxygène signifie que la plupart des bébés mammifères (de l’homme au rat) ne peuvent pas grandir correctement en haute altitude.

La souris sylvestre est capable de survivre jusqu’à l’âge adulte en haute altitude grâce à sa capacité à ralentir son activité métabolique et à conserver son énergie. Puisque c’est la stratégie exactement opposée utilisée par les souris sylvestres adultes, notre travail souligne l’importance d’étudier les jeunes animaux si l’on veut comprendre comment une espèce a évolué.