L’anxiété chez le patient médical

Bien que les possibilités soient nombreuses, il est important de se rappeler que l’anxiété peut représenter simplement un symptôme et que ce n’est qu’après un bilan minutieux que sa signification diagnostique peut être déterminée. Un examen physique approfondi, ainsi que des études de laboratoire et un ECG le cas échéant, sont essentiels pour écarter les causes médicales et éviter le diagnostic erroné d’une maladie psychiatrique primaire. Compte tenu de leur morbidité et de leur mortalité potentielles, les troubles endocriniens, les affections cardiaques et pulmonaires aiguës et les troubles neurologiques méritent une attention particulière.

Non seulement l’anxiété peut être une manifestation d’une maladie médicale, mais elle survient souvent comme conséquence de certaines affections médicales. La bronchopneumopathie chronique obstructive, en particulier, semble entraîner le développement de troubles anxieux. Le trouble panique et le TAG sont plus fréquents chez les patients souffrant d’une maladie pulmonaire obstructive. 1 Le trouble panique est également plus fréquent chez les patients qui subissent une transplantation pulmonaire. Parmi les autres pathologies, citons la cardiomyopathie, dont la prévalence est de 83 % chez les patients souffrant de trouble panique2, l’insuffisance cardiaque congestive ou le cancer. Dans la même étude, 16 % des patients ayant subi un infarctus du myocarde présentaient un trouble panique, soit une prévalence nettement supérieure à celle de la population générale. Le syndrome de stress post-traumatique est également augmenté dans les mois qui suivent l’admission des patients dans un hôpital pour des syndromes coronariens aigus 3 ainsi que dans de nombreux cas de blessures traumatiques.

On ne sait pas toujours ce qui est venu en premier, mais l’expérience clinique indique que la condition médicale précède le développement de l’anxiété dans de nombreux cas. Les patients porteurs de défibrillateurs cardioverteurs implantables automatiques (AICD) en sont un excellent exemple. Les chocs provoquent souvent des sentiments de nervosité et des palpitations et déclenchent une anxiété anticipatoire concernant les chocs futurs, ce qui peut conduire à des attaques de panique et à un comportement d’évitement. 4 En effet, certains observateurs y ont vu une sorte de modèle de conditionnement pour le trouble panique.

Les patients atteints de diverses affections mettant leur vie en danger éprouvent souvent une anxiété intense et des préoccupations et une hypervigilance concernant les sensations somatiques. Les patients atteints de tumeurs cérébrales plus agressives, d’anévrismes cérébraux ou aortiques connus, ou de tumeurs malignes ressentent souvent une anxiété intense pour s’adapter à leur maladie. Il existe également des rapports de patients présentant des lésions cérébrales, causées soit par des tumeurs, soit par des traumatismes, chez lesquels des signes cliniques rappelant le trouble obsessionnel-compulsif se sont développés. En outre, des circonstances particulières, telles qu’une intervention chirurgicale imminente, déclenchent souvent une anxiété intense. La plupart des observateurs notent que l’éducation préopératoire est souvent un antidote efficace à une anxiété excessive.

Anxiété induite par les médicaments ou les drogues
Les effets secondaires des médicaments sont une autre cause fréquente de symptômes d’anxiété chez les patients médicaux. Le tableau présente un aperçu des médicaments et autres composés qui sont plus susceptibles d’induire de l’anxiété. Certains patients anticipent les effets négatifs d’un nouveau médicament à tel point qu’ils connaissent un phénomène appelé réponse nocebo.

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TableauAgents susceptibles de provoquer l’anxiété
Classe Agent
Anticonvulsivants Carbamazépine Éthosuximide Phénytoïne
Antihypertenseurs ß-.Bloquants Bloqueurs des canaux calciques (félodipine) Clonidine
Antiarythmiques Digoxine Quinidine
Bronchodilatateurs Albutérol Théophylline
Certains antidépresseurs Bupropion SSRIs
Stimulants Dextroamphétamine Méthylphénidate
Antiparkinsoniens Amantadine Levodopa
Médicaments en vente libre Médicaments à base de caféine Décongestionnants. (phényléphrine)
Drogues illicites Cocaïne Ecstasy Marijuana
Autres Corticoïdes Ostrogène Indométhacine Médicaments pour la thyroïde

L’anxiété en tant qu’imitateur de la maladie médicale
En médecine de soins primaires, l’anxiété se présente souvent de manière déguisée avec des symptômes somatiques qui semblent représenter une maladie médicale et sont interprétés comme tels par le patient. Cette présentation peut survenir pour diverses raisons, notamment des influences sociales et culturelles ainsi que des besoins psychologiques. En raison de la stigmatisation persistante associée à la maladie mentale, il est souvent plus acceptable socialement de voir apparaître des symptômes physiques plutôt que psychiatriques. Les manifestations somatiques courantes de l’anxiété, souvent associées à une augmentation du tonus autonome, comprennent la tachycardie, les palpitations, la transpiration, les bouffées de chaleur, la bouche sèche, les étourdissements et les tremblements. La tension musculaire, les maux de tête et la fatigue, bien que moins spécifiques, sont également des manifestations courantes.

De nombreuses études ont démontré la prévalence élevée des troubles anxieux dans la pratique des soins primaires. 5 Les patients souffrant de troubles anxieux sont des utilisateurs particulièrement importants de soins médicaux, non seulement dans les cabinets médicaux mais aussi dans les services d’urgence. L’anxiété est particulièrement importante chez les patients qui présentent des schémas somatiques dans des syndromes mal définis. Il n’est pas surprenant que les patients souffrant de troubles somatoformes, y compris l’hypocondrie, le trouble de somatisation et le trouble de la douleur somatoforme, présentent des niveaux élevés d’anxiété qui motivent la présentation de symptômes somatiques. Les variables de la personnalité telles que l’amplification somatique et la sensibilité à l’anxiété font probablement partie du processus de somatisation.

Anxiété et évolution de la maladie médicale
L’anxiété peut également aggraver l’évolution d’une maladie médicale, augmenter l’utilisation des soins de santé, altérer la fonction, conduire à l’évitement et augmenter la souffrance. À une extrémité du spectre, l’anxiété, comme la douleur, est une réponse adaptative à la menace. Dans de nombreuses situations médicales graves, l’anxiété prépare la personne à identifier et à traiter plus efficacement la menace réelle. Toutefois, lorsque l’anxiété est excessive et entraîne un comportement dysfonctionnel, elle peut compliquer ou accélérer l’évolution normale d’une maladie. Dans le cadre de l’étude Medical Outcomes Study, des patients en soins primaires ont été suivis pendant deux ans. 6 Ceux qui présentaient une comorbidité entre l’anxiété et un problème de santé avaient un fonctionnement physique et émotionnel nettement moins bon. Les données de l’étude nationale sur les dépenses médicales ont montré que la présence d’un trouble anxieux contribuait indépendamment à 3,8 jours de lit supplémentaires chez les patients médicalement malades. 7

Il existe des exemples cliniques évidents de patients souffrant de troubles anxieux qui ont des difficultés à poursuivre des soins médicaux appropriés. Les patients souffrant de phobies liées au monde médical, comme la peur du sang, des aiguilles, ou des médecins et dentistes en général, évitent les soins de santé ordinaires. Lorsque les circonstances les obligent finalement à se faire soigner, ces patients présentent souvent des troubles médicaux très avancés et peu remédiables. Cela peut être particulièrement difficile pour les patients qui doivent s’injecter eux-mêmes, comme ceux qui souffrent de diabète sucré. Les personnes souffrant de phobies sociales et de malaise peuvent être réticentes à poursuivre les soins nécessaires dans le cadre public d’un hôpital.

Anxiété et vulnérabilité aux maladies médicales
La question de savoir si les troubles anxieux sont associés à une morbidité et une mortalité accrues reste une question intensément étudiée. Une étude antérieure a montré une mortalité plus élevée chez les patients souffrant de troubles anxieux. 8 Des données plus récentes ont associé l’anxiété à un risque accru de mortalité chez les patients cardiaques. Chez les hommes souffrant d’une maladie coronarienne, l’anxiété de type phobique et panique prédisait un risque 3 fois plus élevé de maladie coronarienne fatale (MC) lors d’un suivi de 7 ans, par rapport à l’absence d’anxiété. 9 Dans l’étude Normative Aging Study, 10 qui ne comprenait également que des hommes, des niveaux plus élevés d’anxiété étaient associés à un risque presque double de coronaropathie fatale.

La cause de la mortalité accrue dans ces études communautaires à grande échelle semble être liée à la mort cardiaque subite plutôt qu’à l’infarctus du myocarde. Chez les femmes au foyer, les symptômes d’anxiété ont été associés à des taux accrus d’infarctus du myocarde et de décès d’origine coronarienne sur une période de 20 ans. 11 Dans une étude plus récente, les femmes qui présentaient une anxiété accrue avaient un taux de mortalité plus élevé que les femmes autrement en bonne santé. 12

Les données longitudinales d’un vaste échantillon communautaire d’hommes et de femmes âgés aux Pays-Bas, avec un suivi de 7,5 ans, ont révélé que chez les hommes, le risque de mortalité ajusté était de 1,78 chez ceux qui présentaient des troubles anxieux diagnostiqués au départ. 13 Dans cette étude, aucune association significative avec la mortalité n’a été trouvée chez les femmes. Les différences intéressantes entre les sexes ne sont pas bien comprises à l’heure actuelle.

Néanmoins, il est important de noter qu’une humeur anxieuse, quelle que soit sa cause primaire, peut produire des effets étendus dans tout le corps. La neurophysiologie de l’anxiété implique non seulement une augmentation de l’activité sympathique mais aussi une activation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien. L’amygdale, le locus caeruleus et les neurones qui les relient déclenchent la décharge sympathique d’épinéphrine et de norépinéphrine par la médullaire surrénale et activent l’hypothalamus et l’hypophyse pour augmenter l’hormone adrénocorticotrope (ACTH), la prolactine et l’hormone de croissance humaine. Avec l’augmentation de l’ACTH, le cortex surrénal libère du cortisol, inhibant l’insuline et augmentant la glycémie. Bien que ces changements ne soient pas toujours cliniquement apparents, les possibilités d’anomalies physiologiques sont nombreuses.

Les mécanismes possibles d’un taux de mortalité plus élevé chez les patients présentant des niveaux d’anxiété accrus ou, de manière plus générale, chez les patients présentant un stress accru et des changements de vie, comprennent une activation sympathique excessive, une activation neuroendocrinienne, une activation plaquettaire et des altérations de la fonction immunitaire. 14 L’anxiété peut accroître la production de cytokines pro-inflammatoires, telles que l’IL-6, ce qui peut prédisposer les patients à des risques accrus pour la santé. En outre, les changements induits par l’anxiété dans les comportements liés à la santé, tels que le tabagisme ou les indiscrétions alimentaires, peuvent influencer les résultats de santé des patients.

Implications pour la gestion de l’anxiété chez le patient médical
Il y a 5 implications pratiques dans l’évaluation et la gestion de l’anxiété chez les malades médicaux.

Premièrement, il est important de faire le diagnostic et l’évaluation appropriés. Bien que la plupart des états anxieux soient manifestes, certains sont relativement cachés, comme l’anxiété sociale et le trouble obsessionnel-compulsif. Les cliniciens doivent interroger directement les patients sur la présence de phobies, de comportements d’évitement et de rituels compulsifs. Cela est particulièrement important pour les patients atteints de maladies pulmonaires et cardiaques, qui sont plus susceptibles de souffrir de troubles anxieux, ainsi que pour les patients dont les plaintes somatiques sont mal expliquées. L’évaluation doit différencier les troubles anxieux des troubles de l’adaptation avec anxiété. Dans de nombreuses situations, l’anxiété peut être adaptative et non excessive au point d’altérer la capacité d’adaptation du patient.

Deuxièmement, en règle générale, l’anxiété survient souvent dans des situations où les gens ont le sentiment de ne pas avoir le contrôle. Cela peut être particulièrement vrai dans les environnements médicaux qui sont peu familiers et effrayants. L’éducation et l’explication de ce à quoi le patient peut s’attendre ont tendance à réduire l’anxiété. Pour beaucoup, la préparation la plus efficace est axée sur l’expérience réelle probable du patient. En outre, on peut atténuer l’anxiété en donnant au patient autant de contrôle que possible, par exemple en lui permettant de faire une pause ou de signaler qu’une procédure est devenue trop lourde.

Troisièmement, la simple reconnaissance de l’anxiété du patient de manière empathique peut contribuer à la réduire. L’un des éducateurs psychiatriques de renom, le regretté Dr Elvin Semrad, a résumé l’essence de la psychothérapie comme étant d’aider un patient à reconnaître, à supporter, puis à relativiser les affects douloureux.

Quatrièmement, l’utilisation judicieuse de médicaments aide à atténuer l’anxiété. Les benzodiazépines agissent rapidement, sont relativement sûres et efficaces, surtout dans les situations aiguës. Les exceptions à cette règle sont le délire et les antécédents de toxicomanie. Les ISRS et la venlafaxine sont particulièrement utiles pour les patients présentant des troubles anxieux évidents, surtout s’il existe des preuves de dépression comorbide. Parmi les ISRS, la sertraline et le citalopram sont souvent préférés en raison de leur effet relativement plus faible sur le P-450, un avantage pour de nombreux patients médicaux qui peuvent prendre plusieurs médicaments.

Cinquièmement, les patients souffrant de troubles anxieux doivent être traités activement pour leur état psychiatrique. Comme nous l’avons déjà noté, les conditions psychiatriques comorbides sont susceptibles d’exacerber l’évolution de nombreux troubles médicaux. La plupart des patients devraient également recevoir une thérapie cognitivo-comportementale, dont de nombreuses études ont montré l’efficacité et la sous-utilisation dans le traitement des troubles anxieux.

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