Le chef-d’oeuvre de Napoléon, la bataille d’Austerlitz

Le 26 août 1805, une chaise de poste quitte la ville de Mayence et roule vers l’est en direction du Rhin. A l’intérieur de la voiture était assis un homme de 6 pieds anglais, avec des boucles noires en tire-bouchon qui tombaient sur le col de son costume, des yeux sombres et clignotants et une moustache noire. Il avait un beau visage, terni seulement par une cicatrice sur sa mâchoire inférieure, résultat d’une blessure par balle. Il tient dans ses mains un livre du maréchal Charles Louis Auguste Fouquet, comte de Belle-Isle, décrivant la campagne française en Bohême en 1742. Sur les passeports de l’homme figurait le nom de colonel de Beaumont.

Se déplaçant rapidement, la voiture s’est rendue à Francfort, puis a tourné au sud-est vers Offenbach et Wurzburg. Elle s’est dirigée vers la ville de Bamberg, sur la rivière Regnitz. Longeant soigneusement la frontière de l’empire autrichien, il a suivi le cours de la Regnitz vers le sud jusqu’à Nuremberg. Tournant à nouveau vers l’est, il a roulé jusqu’au Danube, suivant le cours de ce fleuve jusqu’à Regensberg. Là, il a traversé le Danube sur le grand pont de pierre et a continué jusqu’à Passau. De là, le carrosse a tourné vers l’ouest en direction de Munich, s’est rendu à Ulm et a traversé la Schwarzwald (Forêt Noire).

Le 10 septembre, le carrosse s’est arrêté à Strasbourg, en France, où le colonel de Beaumont a repris sa véritable identité : Joachim Murat, maréchal de France, grand amiral de l’empire, sénateur de France, gouverneur de Paris, grand maître de la cavalerie… et beau-frère de Napoléon Ier, empereur des Français. Le même jour, une succession de pavillons de signalisation transmet à Napoléon à Paris le rapport codé de Murat:

Sire:
J’ai parcouru tous les points que Votre Majesté m’a ordonné de visiter…. J’espère pouvoir fournir les différents renseignements que vous avez demandés, tels que les distances, les localités, les positions, la nature et l’état des routes et des ressources qui existent sur les communications entre les principaux points. J’ai également pris des notes sur les principales rivières ainsi que sur les approches de la Bohême et du Tyrol…..

Il existe à Wels un corps d’environ 60 000 hommes ; à Braunau sur l’Inn, un de 10 à 12 000, et on y a établi un camp de 30 000 ;…déjà quelques soldats autrichiens sont arrivés à Salzbourg ; on croit généralement qu’ils vont occuper la Bavière….

Le prince Charles doit être le commandant en Italie, et l’empereur sur le Rhin. Leur objectif principal est d’agir en Italie, ce qui semble probable étant donné les préparatifs extraordinaires qui ont lieu au Tyrol….Sur le lac de Constance, il y a environ 15 000 hommes. Un grand nombre de Russes se trouvent sur les frontières de la Galacie, leur nombre serait de 80 000 hommes. Le général Weyrother doit, dit-on, aller les guider. Enfin, tout en Autriche a une attitude guerrière….

À Paris, au palais de Saint-Cloud, les observations de Murat s’ajoutent à celles d’autres sources. Alors que Napoléon étudie sa carte de situation, les épingles rouges et noires qui marquent les positions des forces françaises et de leurs rivaux révèlent qu’une force écrasante se rassemble contre la France.

En grande partie en réaction au couronnement du Premier Consul Napoléon Bonaparte comme empereur le 2 décembre 1804, le 9 août 1805, la Grande-Bretagne, l’Autriche, la Russie, les Pays-Bas, la Suède, Naples et un ensemble de principautés allemandes forment une nouvelle alliance contre la France. L’objectif de cette troisième coalition était de forcer la France à revenir dans ses limites territoriales de 1789, avant la Révolution française. Pour y parvenir, la coalition prévoit de mettre plus de 400 000 hommes sur le terrain, bien plus que ce que Napoléon peut rassembler, et de frapper la France de deux directions.

Le meilleur général de l’Autriche, le maréchal archiduc Charles de Habsbourg-Lorraine, attaquera dans le nord de l’Italie avec 94 000 hommes, reprendra les anciennes possessions de l’Autriche dans cette région, puis avancera dans le sud de la France. Pendant ce temps, l’archiduc autrichien Ferdinand d’Este, dont le chef d’état-major et mentor est le général Karl Freiherr Mack von Leiberich, avance avec 72 000 hommes le long du Danube pour décourager l’électeur de Bavière de rejoindre Napoléon et pour couvrir l’approche des alliés russes de l’Autriche. Le 20 octobre, la première armée russe, composée de 50 000 hommes commandés par le maréchal Mikhail Kutuzov, arrive, suivie de 50 000 autres hommes commandés par le maréchal comte Friedrich Wilhelm Büxhowden. Les armées russes rejoindront l’archiduc Ferdinand et Mack pour une invasion combinée du nord de la France. Pour couvrir les deux principales offensives, une force russe supplémentaire de 20 000 hommes sous les ordres du général comte Levin

Bennigsen protégerait le flanc nord de l’offensive du Danube, tandis qu’une force autrichienne supplémentaire de 22 000 hommes sous les ordres de l’archiduc Jean opérerait dans le Tyrol.Pour détourner l’attention des Français des principales offensives de la coalition, une force de 40 000 Russes, Suédois et Britanniques progresserait à travers le nord de l’Allemagne jusqu’en Hollande, tandis que 30 000 Russes et Britanniques débarqueraient à Naples, se joindraient à 36 000 Napolitains et remonteraient la péninsule italienne jusqu’au nord de l’Italie.

Face à ces menaces multinationales, Napoléon réalise que son projet immédiat – une invasion de l’Angleterre par la Manche – est désormais impossible. Grâce aux renseignements militaires recueillis par Murat et d’autres, il a cependant une connaissance complète du plan de la coalition. Sa réponse serait une attaque préventive en Europe centrale. Il tenterait de détruire l’armée de Ferdinand et Mack avant que les Russes ne puissent arriver, puis écraserait les Russes à leur tour. Pendant ce temps, le maréchal André Masséna, avec 50 000 hommes, immobilise l’armée de l’archiduc Charles en Italie. Le maréchal Guillaume Marie-Anne Brune, avec 30 000 hommes, préviendrait l’avancée des coalisés en Hollande, et le général de division Laurent Gouvion St Cyr, avec 18 000 hommes, marcherait sur Naples pour y empêcher toute avancée des coalisés.

L’instrument de l’offensive de Napoléon contre Ferdinand et Mack se tient à Boulogne, sur la Manche. Sa Grande Armée, forte de 180 000 hommes, hautement entraînée, bien armée et mobile, était prête à l’action.

La Grande Armée était divisée en sept corps, chacun commandé par un maréchal de France. Jean Baptiste Bernadotte commandait le Ier corps ; Auguste-Frédéric-Louis Marmont, le IIe corps ; Louis-Nicholas Davout, le IIIe corps ; Jean-Baptiste de Dieu Soult, le IVe corps ; Jean Lannes, le Ve corps ; Michel Ney, le VIe corps ; et Pierre Franois Charles Augereau, le VIIe corps. Joachim Murat commandait la réserve de cavalerie. Les sept corps, la réserve de cavalerie et la Garde impériale sous la main de Napoléon totalisent 145 000 fantassins et 38 000 cavaliers ; à cela s’ajouteront 25 000 alliés bavarois.

Le 27 août, la Grande Armée lève le camp et marche vers l’est. Le Ier corps de Bernadotte, stationné à Hanovre, se dirige vers Wurzburg pour rassembler les Bavarois, tandis que les six autres corps convergent vers le Rhin. Napoléon pensait que « la force d’une armée… est la somme de sa masse multipliée par sa vitesse ». La distance de Boulogne au Rhin est de 450 miles, et chaque soldat la couvre à pied, portant son sac à dos et son mousquet, soit un total de 65 à 75 livres. Le prix est élevé. Jean Roch Coignet, un soldat des grenadiers à pied de la Garde impériale, se souvient : « Jamais marche n’a été aussi terrible. Nous n’avions pas un instant de sommeil, marchant par peloton tout le jour et toute la nuit, et nous tenant enfin les uns aux autres pour ne pas tomber. Ceux qui tombaient ne pouvaient pas être réveillés. Certains sont tombés dans les fossés. Les coups de sabre n’avaient aucun effet sur eux. La musique jouait, les tambours battaient la charge ; rien n’avait raison du sommeil….’

Le 26 septembre, les « torrents » de la Grande Armée franchissaient le Rhin. La marche se poursuit en Allemagne jusqu’à ce qu’après avoir fait une roue vers le sud le 6 octobre, l’armée se retrouve en ligne le long du Danube, d’Ulm à Ingolstadt. L’armée de Napoléon est maintenant plus à l’est que l’armée de Ferdinand et Mack, qui ne se doute de rien, qui a imprudemment avancé le long du Danube jusqu’à Ulm en Bavière. Lorsque les Autrichiens réalisent ce qui se passe et se dirigent vers le nord pour attaquer les Français, il est trop tard. L’armée autrichienne est encerclée, repoussée à Ulm et encerclée. Le 20 octobre, Mack et 27 000 soldats autrichiens survivants ont déposé les armes. Ferdinand, avec 6 000 cavaliers, a réussi à s’échapper. Alors que les soldats français s’éloignent d’Ulm, ils chantent:

Général Mack
Comme s’il était une pincée de tabac./blockquote>

Mais où étaient les Russes ? Dans une stupéfiante démonstration d’ineptie administrative, les états-majors alliés n’avaient pas reconnu que si les Autrichiens suivaient le calendrier grégorien, les Russes employaient encore l’ancien calendrier julien. En 1805, la différence était de 12 jours. Ainsi, alors que les Autrichiens s’attendaient à ce que l’armée russe arrive le 20 octobre, les Russes ne prévoyaient pas de rejoindre les Autrichiens avant le 1er novembre.

Avec l’élimination de l’armée coalisée du Danube, Napoléon était libre de se tourner vers l’armée russe de Kutuzov, qui approchait maintenant par l’est. La stratégie de l’empereur français est d’essayer de la forcer vers le sud pour couper ses communications avec la Russie, mais ses tentatives échouent. Bien que la cavalerie de Murat s’empare des ponts du Danube à Vienne le 13 novembre, le rusé Koutouzov parvient à esquiver l’avance française et à s’échapper.

Napoléon est contraint de poursuivre. Le 20 novembre, il arrive à Brünn, une petite ville située à 80 miles au nord de Vienne et à 125 miles à l’est de Prague. À l’ouest de la ville, il trouve Kutuzov, qui a été rejoint par Büxhowden et une force autrichienne sous le maréchal Jean-Joseph, prince du Liechtenstein. Napoléon, avec 60 000 hommes sous la main, fait maintenant face à Kutuzov avec 73 000 hommes. De plus, Kutuzov s’attend à ce qu’une autre force russe sous les ordres du lieutenant-général Magnus Gustav Essen arrive de Pologne sous peu, et l’archiduc Ferdinand, ayant rassemblé 10 000 troupes autrichiennes en Bohème, est prêt à pousser vers l’est pour soutenir Kutuzov. Pire encore pour les Français, le 30 octobre, l’archiduc Charles avait attaqué Masséna à Caldiero, puis avait habilement extirpé sa puissante armée d’Italie et disparu dans les Alpes. Là, il avait combiné son armée avec celle de l’archiduc Jean, et les deux frères se déplaçaient maintenant vers le nord.

Napoléon était en difficulté, et il le savait. La Grande Armée était profondément enfoncée dans le territoire ennemi, sa force immédiate était fortement surpassée en nombre et d’énormes renforts de la coalition étaient en route. De plus, la Prusse, impressionnée par les succès de la Troisième Coalition, montre un grand intérêt à la rejoindre. Pour gagner la guerre, tout ce que Kutuzov devait faire était d’éviter la bataille.

Napoléon a calculé, cependant, que même si la Prusse décidait de rejoindre la coalition contre lui, elle ne serait pas en mesure de mettre une armée en campagne avant au moins un mois. Il en va de même pour l’armée de l’archiduc Charles, dont la progression depuis l’Italie sera ralentie par les forces de Masséna, Ney et Marmont. Il suffit à Napoléon d’écraser l’armée de Koutouzov avant l’arrivée des renforts de la coalition. Et si Koutouzov n’était pas disposé à l’engager, il devrait le tromper pour qu’il l’attaque.

Le plan de Napoléon serait considérablement aidé par l’arrivée au quartier général de Koutouzov de l’empereur autrichien François II et du tsar russe Alexandre Ier. Le tsar inexpérimenté était accompagné d’une suite de jeunes officiers désireux de montrer leur mépris pour l’armée française. Alors que Koutouzov conseille d’attendre l’arrivée de renforts massifs, Alexandre cède à la pression de ses aides et à l’idée de devenir le « nouveau Saint-Georges de l’Europe écrasant le dragon ». Désormais sans influence, un Koutouzov chagriné abdiqua mentalement son commandement.

Napoléon était persuadé que les Alliés, avec leur supériorité numérique, seraient tentés de l’attaquer. Pour les encourager à croire à la faiblesse de la Grande Armée, il ordonne, le 21 novembre, à Soult et Lannes d’occuper les hauteurs de Pratzen et le village d’Austerlitz, tentant de se rapprocher des positions alliées, puis de se retirer dans une confusion feinte, pour simuler un début de retraite. Il fait suivre cette action d’une action diplomatique. Le 28 novembre, puis le 29, il envoie un message au tsar pour lui demander un armistice et une entrevue personnelle.

Alexandre ignore la demande de Napoléon, n’envoyant que son aide de camp en chef, le général-adjutant prince Piotr Dolgorukov. Si l’empereur des Français veut la paix, exige Dolgorukov, il doit renoncer immédiatement à l’Italie ; s’il poursuit la guerre, la Belgique, la Savoie et le Piémont seront ajoutés au prix. Le général de division Anne-Jean-Marie-René Savary, l’un des aides de camp de Napoléon, raconte que « la conversation s’engagea immédiatement et s’anima rapidement ; il semblait que Dolgorukov n’avait pas fait preuve du tact nécessaire à sa mission, car l’Empereur s’adressa à lui brusquement : ‘Si c’est ce que vous voulez me faire concéder, allez rapporter à votre empereur Alexandre que je n’aurais pas compté sur sa bonne disposition ; que je n’aurais pas compromis mon armée ; que je n’aurais pas compté sur son sens de la justice pour obtenir des conditions ; s’il le désire, nous nous battrons, je m’en lave les mains.’ ‘

Dolgorukov rapporte que l’armée française est au bord de la dissolution et que Napoléon ferait tout pour éviter une bataille. Une armée austro-russe en liesse se prépare à attaquer.

Napoléon concentre la Grande Armée dans un triangle formé par les villages de Puntowitz, Bosenitz et Lattein entre le village d’Austerlitz, occupé par les Austro-Russes, et la ville de Brünn, occupée par les Français. Son front formait un arc de cercle, orienté au sud-est vers l’ennemi. Du nord au sud se tenaient le Vème Corps de Lannes, la Garde Impériale, la Division de Grenadiers Combinés du Général de Division Nicholas-Charles Oudinot, la Réserve de Cavalerie de Murat et le IVème Corps de Soult – 60 000 soldats en tout.

Ancadrant l’extrémité nord de la position française se trouvait une colline proéminente qui s’élevait à 900 pieds au-dessus de la plaine, nommée le Santon. Depuis le Santon, la ligne française s’étendait sur environ quatre miles vers le sud le long du ruisseau Goldbach, qui coulait dans une vallée de marais, de cours d’eau stagnants et d’étangs. Du nord au sud, le Goldbach était bordé d’une série de hameaux aux larges rues boueuses et aux maisons à un étage couvertes de chaume. Les plus importants d’entre eux étaient Sokolnitz et, à 900 mètres au sud, Telnitz, qui marquait l’extrême gauche de la ligne française. Au-delà de Telnitz, le Goldbach se terminait par une série d’étangs larges et peu profonds. Le Goldbach et les étangs étaient recouverts de glace fondante, et leurs berges boueuses étaient glissantes. Les Alliés occupaient une ligne à l’est des positions françaises, allant du nord au sud à l’est du Goldbach et centrée sur le plateau de Pratzen, que les Français leur avaient abandonné.

Le général-Feldwachtmeister Franz Ritter von Weyrother, chef d’état-major de l’armée austro-russe, et autre favori du tsar, établit le plan de bataille. Weyrother a annoncé son plan aux officiers généraux lors d’une réunion d’état-major tenue dans une maison près d’Austerlitz, tôt le 2 décembre. Le lieutenant général comte Alexandre-Louis Andrault de Langéron a décrit la scène :

À une heure du matin, alors que nous étions tous assemblés, le général Weyrother arriva, et sur une grande table étala une immense carte, très précise et détaillée, montrant la région de Brünn et d’Austerlitz, puis lut ses dispositions d’une voix forte et avec un air qui annonçait la conviction de sa suffisance et de notre incapacité. Il ressemblait à un professeur lisant une leçon à de jeunes érudits : peut-être étions-nous des érudits, mais il était loin d’être un bon professeur. Koutouzov, qui était assis sur une chaise à moitié endormi lorsque nous sommes arrivés chez lui, était complètement endormi lorsque nous sommes partis. Büxhowden écoutait, mais ne comprenait certainement rien. Miloradovitch ne dit rien. Przhebishevsky restait en retrait, et seul Dokhturov examinait la carte avec intérêt.

Le plan grandiose de Weyrother prévoyait cinq colonnes de soldats coalisés, soit 41 000 hommes, déferlant sur le flanc droit des Français pour couper leurs communications avec Vienne et rouler l’armée de Napoléon du sud au nord. Les colonnes, numérotées de I à V, seraient respectivement commandées par : Le général Dmitry S. Dokhturov, 13 000 hommes (dont une avant-garde de 5 000 hommes sous les ordres du Feldmarschall-Leutnant Michael Freiherr von Kienmayer) ; le général Langéron, 10 000 hommes ; le lieutenant-général Ignaty Y. Przhebishevsky, 6 000 hommes ; le lieutenant-général Mikhail A. Miloradovich, 12 000 hommes ; et le Feldmarschall-Leutnant Liechtenstein, 5 000 hommes. Pendant ce temps, le major général Prince Piotr Bagration, avec 12 000 hommes, attire l’attention de l’aile gauche française. Enfin, le Grand Duc Constantin Pavlovitch, frère du Tsar Alexandre, avec 8 500 hommes, restera en réserve avec la Garde impériale russe. Weyrother était confiant que son plan détruirait l’armée de Napoléon pour gagner la bataille, la campagne et la guerre.

Le flanc extrême droit de la ligne française était tenu par la division du Général de Division Claude Juste-Alexandre-Louis comte de Legrand du IVe Corps de Soult. À l’aube du 2 décembre, les soldats de Legrand peuvent entendre le son des colonnes en marche à travers l’épaisse brume matinale qui recouvre le champ de bataille. Avec seulement 2 400 hommes, sa division s’apprête à faire face à un assaut de plus de 30 000 soldats alliés.

À 8h30, la colonne I de Dokhturov s’avance pour attaquer Telnitz. Le général autrichien Feldwachtmeister Carl Freiherr Stutterheim décrit l’attaque :  » Par deux fois, les Autrichiens ont été repoussés ; et par deux fois encore, ils ont avancé jusqu’au pied de la colline, qu’il était nécessaire de franchir, pour arriver au village….Deux bataillons autrichiens… ont chargé l’ennemi avec impétuosité, ont attaqué le village, en ont pris possession et ont été suivis par le reste… « . Les Français, à l’approche d’un nombre aussi supérieur, évacuent le défilé et se rangent sur le côté opposé en ordre de bataille.’

Au nord, la IIe colonne de Langéron, renforcée par la IIIe colonne de Przhebishevsky, déferle pour attaquer le village de Sokolnitz. Les Français, note Langéron, se défendent avec acharnement le long du cours d’eau et à gauche de Sokolnitz. Le 8e chasseurs et les régiments de Wibourg et de Perm ont beaucoup souffert, mais enfin, ces trois régiments et la colonne de Przhebishevsky ont emporté le village et les Français ont été contraints de se retirer….’

Au petit matin, les forces coalisées avaient repoussé les Français hors de Sokolnitz et de Telnitz et faisaient plier le flanc droit de l’armée française. Les colonnes IV et V, commandées par Miloradovich et Liechtenstein, traversent le plateau de Pratzen et descendent sur la droite française. L’aile gauche austro-russe sous les ordres de Bagration avançait pour bloquer l’aile gauche française. La cavalerie du Liechtenstein se déploie pour combler l’écart grandissant entre le centre et la droite des Alliés. Jusqu’à présent, tout se déroulait selon le plan de Weyrother.

A peu près à cette époque, selon le caporal Elzéar Blaze du 108e régiment de ligne français, un officier français capturé est amené devant le tsar Alexandre pour être interrogé.

‘De quel corps d’armée êtes-vous ?’ demande le tsar.

‘Le troisième,’ répond le Français.

‘Le corps du maréchal Davout?’

‘Oui, Sire.’

‘Cela ne peut pas être vrai – ce corps est à Vienne.’

‘Il était là hier ; aujourd’hui, il est ici.’

C’était vrai. Après une marche forcée de 80 miles, parcourus en seulement 50 heures, le IIIème Corps de Davout était arrivé pour soutenir le flanc droit français. Les attaques de la coalition à travers Telnitz et Sokolnitz, ralentissent, puis faiblissent.

Pendant ce temps, dans la vallée remplie de brouillard en dessous du plateau de Pratzen, Napoléon se tenait tranquillement, regardant attentivement vers le plateau. La masse de sa cavalerie, la division de grenadiers d’Oudinot et la Garde impériale sont dissimulées par les hauteurs basses derrière lui. Avec eux, également, se tenaient les soldats du Ier Corps de Bernadotte, 11 000 hommes, qui avaient marché en force depuis Iglau pendant la nuit. Napoléon dispose désormais de 75 000 hommes et 157 canons face aux 73 000 hommes et 318 canons des Alliés.

Napoléon demande à Soult : « Combien de temps vous faut-il pour couronner ce sommet ? » « Dix minutes », répond le maréchal. ‘Alors allez-y,’ dit l’empereur, ‘mais vous pouvez attendre encore un quart d’heure, et il sera assez temps alors !’

A 9 heures du matin, deux divisions du IVe corps de Soult marchent en avant. Soutenues sur leur gauche par le Ier Corps de Bernadotte, les colonnes françaises gravissent les pentes du plateau et émergent du brouillard. Les Russes, stupéfaits, luttent pour contenir l’attaque française. Koutouzov tente de rappeler l’arrière de la colonne de Miloradovitch, mais peu d’unités peuvent être retournées à temps. Les Français poussent sur le Pratzen, et les troupes coalisées se replient dans la confusion vers Austerlitz.

À 10h30, Koutouzov contre-attaque le Pratzen. Soult empêche sa ligne de s’effondrer par un déploiement habile de l’artillerie de son corps. À 13 heures, une nouvelle attaque russe déferle avec la cavalerie de la Garde impériale, commandée par le grand duc Constantin Pavlovitch, qui remonte d’Austerlitz. Soult se trouve au milieu du feu. Un de ses officiers est blessé ; une balle frappe le cheval de son aide de camp, le lieutenant Auguste Petit, brisant son licou. Incapables de résister à cette nouvelle attaque, une partie des troupes de Soult, épuisées, craquent et abandonnent le sommet. Napoléon ordonne au Général de Brigade Jean Rapp de mener la cavalerie de la Garde Impériale française contre l’attaque russe. Ce n’est que lorsque je suis arrivé à portée de fusil du lieu de l’action, raconte Rapp, que j’ai découvert le désastre. La cavalerie de l’ennemi était au milieu de notre carré et sabrait nos troupes. Un peu plus loin, nous avons discerné des masses d’infanterie et de cavalerie formant la réserve. L’ennemi a abandonné l’attaque et s’est tourné vers moi….. Nous nous sommes rués sur l’artillerie, qui a été prise. La cavalerie, qui nous attendait, fut repoussée par le même choc ; elle s’enfuit en désordre, et nous, ainsi que l’ennemi, foulons aux pieds les corps de nos troupes, dont les carrés avaient été pénétrés… tout était confusion ; nous nous battions d’homme à homme. Finalement, l’intrépidité de nos troupes a triomphé de tous les obstacles’. Bien que blessé à deux reprises, Rapp captura lui-même le prince Nikolaï G. Repnin-Volkonsky, colonel du Chevalier-gardes russe.

Pendant ce temps, sur la gauche française, le Vème Corps de Lannes attaque Bagration pour empêcher le Russe de rejoindre la lutte au centre. L’avance de Lannes est obstinément contestée par Bagration et Liechtenstein, mais Murat mène sa cavalerie lourde dans une charge qui submerge la force russe. Bagration entame un retrait mesuré du champ de bataille.

Appelant le reste de la Garde impériale sur le plateau de Pratzen, Napoléon lui ordonne, ainsi qu’aux survivants de Soult, de pivoter vers le sud le long des hauteurs pour envelopper la gauche austro-russe. Nous avons chargé comme des éclairs « , écrivit Thomas-Robert Bugeaud, un grenadier vélite de la Garde impériale française,  » et le carnage fut horrible. Les balles sifflaient. L’air gémissait du bruit des canons et de la puissance des voix menaçantes, suivies de près par la mort. Très vite, la phalange de l’ennemi fut ébranlée et jetée en désordre ; enfin, nous la renversâmes entièrement.’

À 15 h 30, les canons et l’infanterie française tiraient depuis le Pratzen sur l’ennemi massé en contrebas. La seule voie d’évasion austro-russe possible passait par les étangs gelés dans leur dos. Les soldats de la coalition tentent de fuir sur la glace, mais celle-ci se brise sous le bombardement français, et la retraite se transforme en déroute. Peu après 16 heures, les canons se sont tus ; la bataille d’Austerlitz était terminée.

Les forces de la coalition avaient perdu un nombre stupéfiant de 29 000 hommes morts, blessés ou capturés, ainsi que la plupart de leurs canons et équipements. La Grande Armée avait subi moins de 8 300 morts ou blessés et quelque 600 prisonniers. Enregistré Langéron :  » Le fait est que ni les régiments, ni les commandants, ni les généraux n’avaient l’expérience nécessaire pour résister aux vétérans guerriers de Napoléon, que c’était une grande erreur de les affronter et une erreur encore plus grande de croire que nous n’avions qu’à nous présenter pour les vaincre.’

Trois jours après la bataille, l’empereur François II, dégoûté du tsar Alexandre et de ses Russes, signe un armistice avec la France. Alexandre, dégoûté de François II et de ses Autrichiens, s’en va en boitant vers l’est. La Troisième Coalition s’effondre. Le 26 décembre 1805, la France a signé la paix de Pressburg avec l’Autriche. Par ce traité, l’Autriche perd Venise, l’Istrie et la Dalmatie au profit de la France, et le Tyrol autrichien au profit de la Bavière. Napoléon Ier, empereur des Français, 10 ans avant un général français inconnu, était en passe de devenir le maître de l’Europe.

Cet article a été écrit par James W. Shosenberg et publié initialement dans le numéro de décembre 2005 du magazine Military History. Pour plus d’excellents articles, abonnez-vous dès aujourd’hui au magazine Military History !

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