Syndrome de ballonnement apical
Présentation de cas : Une femme de 60 ans s’est présentée aux urgences 2 heures après l’apparition d’une douleur thoracique rétrosternale sévère qui a commencé peu après qu’elle ait appris que son fils était décédé dans un accident de voiture. Un ECG à 12 dérivations a montré un sus-décalage du segment ST dans les dérivations précordiales (figure 1), et le taux de troponine T plasmatique était élevé (0,07 ng/ml). Un diagnostic d’infarctus du myocarde aigu avec surélévation du segment ST a été posé et le patient a été admis en urgence pour une coronarographie, qui a révélé des artères coronaires normales. Le ventriculogramme gauche a montré une dysfonction systolique sévère impliquant les segments médians et apicaux (supplément de données film I).
Reconnaissance du syndrome clinique
Les médecins sont depuis longtemps conscients de l’association possible entre le stress et les événements cardiovasculaires. La prise de conscience s’est accrue au sujet d’un syndrome cardiaque distinct qui a été décrit à l’origine dans la population japonaise et qui a été appelé cardiomyopathie de Takotsubo, du nom de la marmite de pieuvre à fond rond et à col étroit qui ressemble au ventriculogramme gauche pendant la systole chez ces patients.1,2 Les autres noms utilisés pour décrire l’affection comprennent le syndrome de ballonnement apical (ABS), le syndrome du cœur brisé et la cardiomyopathie de stress ou de l’ampoule. L’incidence précise de l’ABS est inconnue, mais elle pourrait représenter 1 à 2 % des patients qui présentent un infarctus du myocarde aigu.3
Caractéristiques cliniques
La majorité des patients ont une présentation clinique qui ne se distingue pas d’un syndrome coronarien aigu. La plupart présentent une douleur thoracique au repos, bien que certains patients aient une dyspnée seule comme symptôme initial. Dans de rares cas, les patients présentent une syncope ou un arrêt cardiaque hors de l’hôpital.4 L’APA semble se produire presque exclusivement chez les femmes ménopausées ; cependant, quelques cas ont été signalés chez des femmes plus jeunes et des hommes.4 Les patients sont généralement stables sur le plan hémodynamique, mais des signes cliniques d’insuffisance cardiaque congestive légère à modérée coexistent fréquemment. Chez une minorité de patients, une hypotension peut survenir en raison d’une réduction du volume systolique et, parfois, d’une obstruction dynamique de la voie de sortie du ventricule gauche. Le choc cardiogénique peut être une complication rare. Une caractéristique unique de l’ABS est la survenue d’un événement antérieur émotionnellement ou physiquement stressant chez environ deux tiers des patients. Il est important de noter qu’un tel déclencheur n’est pas observé chez tous les individus, et que son absence n’exclut pas le diagnostic.
Diagnostic
La constatation la plus fréquente sur l’ECG d’admission est un léger sus-décalage du segment ST, qui survient chez environ 50 à 60 % des patients. Il est généralement présent dans les dérivations précordiales, mais l’ECG peut être normal ou présenter une anomalie non spécifique de l’onde T ou une élévation majeure du segment ST dans les dérivations précordiales et des membres. En général, l’ECG à 12 dérivations ne permet pas à lui seul de différencier l’ABS d’un infarctus du myocarde avec sus-décalage du segment ST.5 Les changements évolutifs caractéristiques qui se produisent en 2 à 3 jours comprennent la résolution du sus-décalage du segment ST et le développement ultérieur d’une inversion diffuse et souvent profonde des ondes T qui concerne la plupart des dérivations (figure 2). De nouvelles ondes Q pathologiques peuvent être observées occasionnellement, et l’allongement de l’intervalle QT corrigé est fréquent. La plupart des patients, sinon tous, présentent une légère augmentation précoce des biomarqueurs cardiaques, notamment lors du dosage des troponines cardiaques. L’échocardiographie transthoracique peut détecter l’anomalie régionale du mouvement de la paroi, mais le diagnostic est souvent posé dans le laboratoire de cathétérisme cardiaque, car les patients sont initialement soupçonnés de souffrir d’un syndrome coronarien aigu et sont orientés vers une coronarographie d’urgence. Les patients atteints d’APA ne présentent généralement pas de maladie coronarienne obstructive. Le ventriculogramme gauche montre des anomalies régionales caractéristiques du mouvement de la paroi impliquant les segments médians et généralement apicaux. La fonction systolique basale est épargnée et l’anomalie du mouvement de la paroi s’étend au-delà de la distribution d’une seule artère coronaire (supplément de données, film I). Des variantes d’épargne apicale ont également été décrites (supplément de données, film II).6 L’imagerie par résonance magnétique cardiaque peut être utile pour exclure un infarctus du myocarde, car l’hyperhaut de gadolinium retardé n’est pas une caractéristique de l’ABS.7
Sur la base de notre expérience, nous avons précédemment proposé des critères pour poser un diagnostic clinique d’ABS, et les 4 critères doivent être présents. Le tableau illustre une version modifiée des critères qui intègre les connaissances contemporaines sur le syndrome.4 Le diagnostic d’APA est le plus susceptible d’être posé dans les établissements où l’intervention coronaire percutanée primaire et une stratégie invasive précoce sont pratiquées pour la prise en charge des syndromes coronariens aigus. L’absence de maladie coronarienne obstructive et l’anomalie régionale caractéristique du mouvement de la paroi sont susceptibles de conduire au diagnostic. Le diagnostic de l’APA chez les patients qui se présentent dans des hôpitaux sans laboratoire de cathétérisme cardiaque nécessite un indice de suspicion élevé. Le diagnostic doit être envisagé chez une femme ménopausée qui présente des symptômes cardiaques liés dans le temps à un facteur de stress émotionnel ou physique, avec des biomarqueurs cardiaques positifs ou un ECG anormal. L’établissement du diagnostic est particulièrement important si une thérapie fibrinolytique est envisagée pour un diagnostic présumé d’infarctus du myocarde avec surélévation du segment ST. L’administration inappropriée de fibrinolytiques à un patient présentant un APA peut entraîner des dommages, et il serait approprié de transférer un patient suspecté d’avoir un APA pour une coronarographie d’urgence.
Critères proposés par la Mayo Clinic pour le diagnostic clinique de l’ABS
*Il existe de rares exceptions à ces critères, comme les patients chez qui l’anomalie régionale du mouvement de paroi est limitée à un seul territoire coronaire.
†Il est possible qu’un patient présentant une athérosclérose coronaire obstructive puisse également développer un ABS. Cependant, cela est très rare dans notre expérience et dans la littérature publiée, peut-être parce que de tels cas sont diagnostiqués à tort comme un syndrome coronarien aigu.
Dans les deux circonstances susmentionnées, le diagnostic d’ABS doit être posé avec prudence, et un déclencheur précipitant stressant clair doit être recherché.
1. Hypokinésie, akinésie ou dyskinésie transitoire des segments médians du ventricule gauche avec ou sans atteinte apicale. Les anomalies régionales du mouvement de la paroi s’étendent au-delà d’une seule distribution vasculaire épicardique.*
2. Absence de maladie coronaire obstructive ou de preuve angiographique de rupture aiguë de plaque.†
3. Nouvelles anomalies ECG (soit élévation du segment ST et/ou inversion de l’onde T) ou élévation de la troponine cardiaque.
4. Absence de :
traumatisme crânien significatif récent
hémorragie intracrânienne
phéochromocytome
myocardite
cardiomyopathie hypertrophique
Gestion
La gestion optimale de l’ABS n’a pas été établie, mais un traitement de soutien conduit invariablement à une guérison spontanée. Comme la présentation chez ces patients ne peut être distinguée d’un syndrome coronarien aigu, la prise en charge initiale doit être orientée vers le traitement de l’ischémie myocardique, avec une surveillance continue de l’ECG et l’administration d’aspirine, d’héparine intraveineuse et de β-bloquants. Une fois le diagnostic d’APA posé, l’aspirine peut être interrompue, sauf en cas d’athérosclérose coronaire coexistante. Le traitement par β-bloquants peut être poursuivi, s’il est toléré, notamment parce qu’un excès de catécholamines peut jouer un rôle dans la précipitation des troubles. Les diurétiques sont efficaces pour le traitement de l’insuffisance cardiaque congestive. Le ventricule droit est également impliqué dans environ un tiers des cas, et ces patients sont plus malades et plus susceptibles de développer une insuffisance cardiaque congestive (Supplément de données Film III).8 En de rares occasions, en cas d’hypotension significative, il est important d’exclure une obstruction dynamique de la voie de sortie du ventricule gauche par échocardiographie. Si elle est présente, un essai prudent de β-bloquants peut aider en réduisant l’hypercontractilité de la base du ventricule gauche. Alternativement, une perfusion de phényléphrine peut être efficace en augmentant la postcharge et la taille de la cavité ventriculaire gauche. Les inotropes seraient contre-indiqués dans cette situation. En revanche, le choc cardiogénique dû à une défaillance de la pompe est traité par des thérapies standard comprenant des inotropes et une contre-pulsion par ballonnet intra-aortique. Une anticoagulation doit être envisagée en cas de dysfonction systolique ventriculaire gauche sévère pour prévenir les thromboembolies jusqu’à ce qu’il y ait récupération.
Prognostic
Les patients atteints d’APA ont généralement un bon pronostic en l’absence de comorbidités sous-jacentes importantes. La dysfonction systolique et les anomalies régionales du mouvement de la paroi sont transitoires et disparaissent complètement en quelques jours ou quelques semaines. Cette constatation est tellement uniforme qu’il faut envisager un autre diagnostic chez les patients dont la cardiomyopathie ne disparaît pas. En général, l’évaluation de la fraction d’éjection doit être effectuée environ 4 à 6 semaines après la sortie de l’hôpital pour documenter la récupération de la fonction. À ce moment-là, l’ECG montre généralement une résolution complète, bien que l’inversion de l’onde T puisse persister pendant une période plus longue. La mortalité hospitalière due à l’APA est très faible et ne dépasse probablement pas 1 à 2 %. Le taux de récurrence de l’ABS ne dépasse pas 10 %.9 Dans notre pratique, en l’absence de contre-indications, nous recommandons un traitement chronique par β-bloquants, dans le but de réduire la probabilité d’un épisode récurrent. Un suivi clinique annuel est conseillé car l’histoire naturelle de l’ABS reste inconnue.
Pathophysiologie
La physiopathologie de l’ABS est mal comprise. Plusieurs mécanismes à l’origine de cette cardiomyopathie réversible ont été proposés, notamment le spasme épicardique multivessel, le spasme microvasculaire coronaire, l’étourdissement myocardique induit par les catécholamines et la myocardite. Le spasme épicardique multivaisseaux des artères coronaires n’a été observé chez aucun des patients de notre institution, mais il est possible que l’administration systématique de nitrates pour des douleurs thoraciques ischémiques puisse masquer sa présence. Le dysfonctionnement microvasculaire est présent chez au moins deux tiers des patients au moment de la présentation, et sa gravité est en corrélation avec l’ampleur de l’élévation de la troponine et des anomalies de l’ECG.10 Il reste à établir si l’altération de la fonction microvasculaire est le mécanisme primaire de la lésion ou un épiphénomène. Les catécholamines peuvent jouer un rôle dans le déclenchement du syndrome.11
Conclusion du cas
La pression end-diastolique du ventricule gauche était de 30 mm Hg, et le patient était nettement hypotendu. Un ballon intra-aortique a été inséré. Ses symptômes et son hypotension ont disparu en 48 heures. Elle est sortie de l’hôpital le quatrième jour avec une ordonnance pour un IEC et un β-bloquant. Une échocardiographie 4 semaines plus tard a révélé une fonction ventriculaire gauche normale. L’inhibiteur de l’ECA a été interrompu, et elle se porte toujours bien 1 an après son admission.
Le supplément de données en ligne, composé de films, est disponible avec cet article à http://circ.ahajournals.org/cgi/content/full/115/5/e56/DC1.
Disclosions
Aucune.
Notes de bas de page
- 1 Sato H, Tateishi H, Uchida T, Dote K, Ishihara M, Sasaki K. Tako-tsubo-like left ventricular dysfunction due à un spasme coronaire multivessel. Dans : Kodama K, Haze K, Hori M, eds. Clinical Aspect of Myocardial Injury : From Ischemia to Heart Failure . Tokyo, Japon : Kagakuhyoronsha Publishing Co ; 1990 : 56-64.Google Scholar
- 2 Tsuchihashi K, Ueshima K, Uchida T, Oh-mura N, Kimura K, Owa M, Yoshiyama M, Miyazaki S, Haze K, Ogawa H, Honda T, Hase M, Kai R, Morii I. Transient left ventricular apical ballooning without coronary artery stenosis : a novel heart syndrome mimicking acute myocardial infarction : Angina Pectoris-Myocardial Infarction Investigations in Japan. J Am Coll Cardiol. 2001 ; 38 : 11-18.CrossrefMedlineGoogle Scholar
- 3 Bybee KA, Prasad A, Barsness G, Wright RS, Rihal CS. Caractéristiques cliniques, résultats et microcirculation myocardique altérée chez les patients atteints du syndrome de ballonnement apical transitoire du ventricule gauche : une série de cas provenant d’un centre médical américain. Am J Cardiol. 2004 ; 94 : 343-346.CrossrefMedlineGoogle Scholar
- 4 Bybee KA, Kara T, Prasad A Lerman A, Barsness GW, Wright RS, Rihal CS. Transient left ventricular apical ballooning syndrome : a mimic of ST-segment elevation myocardial infarction. Ann Intern Med. 2004 ; 141 : 858-865.CrossrefMedlineGoogle Scholar
- 5 Bybee K, Motiei A, Syed I, Kara T, Prasad A, Lennon RJ, Murphy JG, Hammill SC, Rihal CS, Wright RS. Electrocardiography cannot reliably differentiate transient left ventricular apical ballooning syndrome from anterior ST-segment elevation myocardial infarction. J Electrocardiol. 2007 ; 40 : 38.e1-e6.Google Scholar
- 6 Hurst RT, Askew JW, Reuss CS, Lee RW, Sweeney JP, Fortuin FD, Oh JK, Tajik AJ. Transient midventricular ballooning syndrome : a new variant. J Am Coll Cardiol. 2006 ; 48 : 579-583.CrossrefMedlineGoogle Scholar
- 7 Sharkey SW, Lesser JR, Zenovich AG, Maron MS, Lindberg J, Longe TF, Maron BJ. Cardiomyopathie aiguë et réversible provoquée par le stress chez les femmes des États-Unis. Circulation. 2005 ; 111 : 472-479.LinkGoogle Scholar
- 8 Elesber A, Prasad A, Bybee KA, Valeti U, Motiei A, Lerman A, Chandrasekaran K, Rihal CS. Transient cardiac apical ballooning syndrome : prevalence and clinical implications of right ventricular involvement. J Am Coll Cardiol. 2006 ; 47 : 1082-1083.CrossrefMedlineGoogle Scholar
- 9 Elesber AA, Prasad A, Wright S, Lerman A, Rihal C. Recurrence rate and long term prognosis of the apical ballooning syndrome. Circulation. 2006 ; 114 (suppl II) : II-625. Résumé.Google Scholar
- 10 Elesber A, Lerman A, Bybee KA, Murphy JG, Barsness G, Singh M, Rihal CS, Prasad A. Myocardial perfusion in apical ballooning syndrome : correlate of myocardial injury. Am Heart J. 2006 ; 152 : 469.e9-e13.CrossrefGoogle Scholar
- 11 Wittstein IS, Thiemann DR, Lima JA, Baughman KL, Schulman SP, Gerstenblith G, Wu KC, Rade JJ, Bivalacqua TJ, Champion HC. Caractéristiques neurohumorales de l’étourdissement myocardique dû à un stress émotionnel soudain. N Engl J Med. 2005 ; 352 : 539-548.CrossrefMedlineGoogle Scholar