Thrombose d’une aorte thoracique apparemment normale et embolie artérielle | Revista Española de Cardiología (Edition anglaise)

INTRODUCTION

Le diagnostic étiologique des embolies artérielles est une tâche complexe. Néanmoins, la source emboligène peut être identifiée chez 90 à 95 % des patients grâce à des techniques d’imagerie non invasives.1,2 Environ 85 % des embolies artérielles périphériques ont pour origine le cœur.2 L’échocardiographie transœsophagienne (ETO) est très utile dans cette condition car elle permet un examen approfondi à la fois du cœur et de l’aorte thoracique.1 L’aorte suscite aujourd’hui un intérêt croissant en tant que source potentielle d’embolies ; on estime que 5 % des embolies proviennent de l’aorte.1 Les thrombus proviennent principalement de l’aorte abdominale et adhèrent à des anévrismes ou à des lésions artériosclérotiques, bien qu’ils aient également été trouvés dans des segments vasculaires apparemment sains. La présence de thrombi dans l’aorte thoracique est beaucoup moins fréquente, notamment en l’absence d’anévrisme ou de maladie athérosclérotique concomitante3,4. Le traitement optimal pour ces patients n’est pas bien défini.

Le but de la présente étude est de décrire les caractéristiques cliniques et l’évolution de 3 patients atteints d’embolie artérielle périphérique, chez qui une thrombose de l’aorte thoracique a été documentée.

Méthodes

Entre septembre 2002 et juillet 2006, des thrombi de l’aorte thoracique ont été trouvés chez 3 patients admis dans notre hôpital pour une embolie artérielle. Les modalités d’imagerie utilisées chez ces patients comprenaient l’ETO, la tomodensitométrie (TDM) et/ou l’imagerie par résonance magnétique (IRM). Tous les patients avaient une aorte macroscopiquement normale (pas d’artériosclérose ou d’anévrisme).

RESULTATS

Les caractéristiques des patients de l’étude sont décrites ci-dessous et présentées dans le tableau 1.

Cas 1

Un homme de 54 ans souffrant d’hypertension et de dyslipidémie s’est présenté aux urgences pour une douleur d’apparition soudaine dans le bras droit, qui présentait une absence de pouls huméral. Un ETO a été effectué pour exclure une maladie aortique aiguë. Une masse a été détectée dans l’aorte descendante, immédiatement distale de l’artère sous-clavière gauche, et a été interprétée comme un lambeau provenant d’une dissection. Par la suite, l’artériographie a également documenté un défaut de remplissage dans l’aorte ascendante, à 3 cm du plan de la valve aortique. Le patient a été diagnostiqué avec une dissection aortique de type A et a été opéré. Pendant la période postopératoire, il a subi un accident vasculaire cérébral massif et est décédé. L’examen de la pièce chirurgicale a permis d’identifier un thrombus adhérant à une petite plaque athérosclérotique dans l’aorte ascendante. Il n’y avait pas de dissection.

Cas 2

Une femme de 47 ans souffrant d’hypertension a consulté pour des douleurs dans l’épigastre et l’hypochondre gauche. Le scanner abdomino-pelvien a montré un infarctus splénique massif (figure 1). L’échocardiographie transthoracique (ETT) était normale et les hémocultures étaient négatives. L’ETT a montré une grande masse très mobile ancrée dans l’isthme aortique (Figure 1). L’aorte était normale. On a commencé à administrer de l’héparine par voie intraveineuse, mais la masse aortique a persisté lors des études de suivi ultérieures. Une intervention chirurgicale a donc été indiquée et deux masses ont été réséquées (figure 2). L’étude histologique a confirmé leur nature thrombotique. Les tests d’hypercoagulabilité étaient normaux.

Figure 1. Études d’imagerie (patient 2). A : tomodensitométrie abdominale, vue axiale, montre une zone large et dense dans la rate (infarctus splénique massif) (*). B : imagerie par résonance magnétique, vue sagittale de l’aorte ascendante, de la crosse aortique et de la partie proximale de l’aorte thoracique descendante ; 2 images de haute densité (flèches) sont observées dans la lumière aortique, correspondant à des thrombus aortiques. C : échocardiographie transoesophagienne, vue en axe long de l’aorte thoracique descendante distale à l’artère sous-clavière gauche ; une image digitiforme échodense est observée, correspondant au thrombus le plus distal. D : échocardiographie transœsophagienne, vue en coupe de l’aorte thoracique descendante distale à l’origine de l’artère sous-clavière gauche, dans laquelle le thrombus est également évident.

Figure 2. Spécimen chirurgical. A : vue macroscopique de la masse irrégulière, hétérogène et digitiforme ; le point d’ancrage est à l’extrême droite. B : coupes transversales à plusieurs niveaux du thrombus, où l’on voit son caractère hétérogène.

Cas 3

Un homme de 52 ans, fumeur, hypercholestérolémique et hypertendu, s’est présenté aux urgences pour une douleur dans la fosse iliaque droite, des vomissements et une diarrhée. Le scanner abdominal a montré des signes d’iléite, d’infarctus du rein gauche et d’infarctus splénique massif. Les hémocultures étaient négatives. Les résultats de l’ETT et de l’ETO ont exclu une origine cardiaque. L’ETO a détecté une masse pédonculée ancrée dans l’isthme aortique. La paroi aortique avait un aspect normal. Le patient a été mis sous anticoagulation à l’héparine et son opération a été programmée. Sur une étude d’imagerie par résonance magnétique réalisée avant l’intervention, on a constaté que le thrombus avait disparu. Le test de thrombophilie était négatif.

DISCUSSION

Nous présentons 3 patients présentant une embolie artérielle et une thrombose d’une aorte thoracique dont la paroi était apparemment normale. Plusieurs séries de patients présentant des thrombus de l’aorte thoracique ont été rapportées (tableau 2).1-7 Nos patients partagent certaines caractéristiques importantes avec les cas rapportés, mais présentent également des particularités.

La présentation clinique la plus fréquente est l’embolie des membres, avec une certaine prédilection pour le bras gauche.7 Cette présentation clinique a été observée chez le patient 1 de la présente étude, bien que le membre affecté soit le bras droit. Les autres patients ont présenté une embolie viscérale. Il s’agit d’une localisation peu fréquente qui n’a été observée que chez 5 patients parmi ceux inclus dans la série susmentionnée. Occasionnellement, il y a des embolies multiples (10 % des patients au moment de la présentation clinique dans la plus grande série6). Dans notre série, le patient 3 a présenté plusieurs embolies et toutes étaient localisées dans les viscères.

La localisation la plus fréquente des thrombus de l’aorte thoracique est la région de l’isthme aortique et la portion distale de la crosse aortique, du côté opposé à l’origine de l’artère sous-clavière.7 Tous nos patients avaient des thrombus dans cette région et chez les patients 1 et 2, plus d’un thrombus a été détecté. Chez le patient 1, un des thrombus se trouvait dans l’aorte ascendante, ce qui est la localisation la plus rare.

La physiopathologie des thrombus aortiques n’est pas bien définie. Ils surviennent plus fréquemment chez les patients d’âge avancé et ceux présentant plusieurs facteurs de risque cardiovasculaire et une athérosclérose aortique sévère,1,6 bien qu’ils aient également été décrits dans des aortes apparemment normales et dans celles présentant une artériosclérose circonscrite au site où le thrombus est ancré au vaisseau. L’âge moyen de nos patients était de 51 ans et, à l’exception du troisième cas, ils présentaient un faible profil de risque cardiovasculaire. Dans certaines séries4, la thrombose aortique était accompagnée d’une maladie inflammatoire chronique, ce qui était absent chez nos patients. Les tests d’hypercoagulabilité étaient négatifs chez les trois patients, une constatation fréquente dans d’autres séries rapportées.2,6,7

Le diagnostic différentiel des thrombus aortiques doit être établi avec d’autres masses aortiques, comme les tumeurs.8 Le diagnostic définitif nécessite des études histologiques et immunohistochimiques, mais l’IRM est le test d’imagerie le plus utile pour le diagnostic différentiel.8 Le diagnostic différentiel avec la dissection aortique est également important en raison des implications thérapeutiques. L’ETO peut être meilleur que d’autres techniques d’imagerie appliquées à cette fin, en particulier le CT.9

La technique la plus largement utilisée dans le diagnostic de la thrombose aortique dans les séries rapportées est l’ETO. Cet examen a une grande précision diagnostique et permet d’évaluer la taille, la morphologie et le site d’ancrage du thrombus, ainsi que les caractéristiques de la paroi aortique. Bien qu’il n’existe pas d’études comparant les différentes techniques d’imagerie dans le diagnostic de la thrombose aortique, il est probable qu’elles aient une précision diagnostique similaire, comme c’est le cas pour d’autres maladies de l’aorte thoracique.

Il existe un consensus général selon lequel ces patients doivent recevoir un traitement anticoagulant.1,2,4-7 Le traitement chirurgical (thrombectomie) est réservé à des cas sélectionnés d’embolie récurrente ou de thrombus persistant malgré une anticoagulation appropriée. Comme cela s’est produit chez notre troisième patient, la résolution complète du thrombus a été décrite à la suite d’un traitement anticoagulant.2,7 Certains auteurs recommandent une ETO dans les 24 heures précédant la chirurgie pour confirmer la persistance du thrombus.7 Tous nos patients, à l’exception du patient 1 (chez qui une dissection a été suspectée initialement), ont reçu une anticoagulation avec de l’héparine sodique. Chez le patient 2, une thrombectomie a été réalisée après l’échec du traitement anticoagulant.

Le pronostic de ces patients est principalement déterminé par les conséquences de l’embolie. Dans notre série, 1 patient est décédé en raison d’une embolie cérébrale massive. L’évolution clinique des 2 autres patients a été favorable, et il n’y a pas eu de signe de récidive dans le suivi.

Chez les patients présentant une embolie artérielle, il est conseillé de rechercher l’aorte thoracique comme source possible en plus des foyers emboliques typiques, même chez les patients sans facteurs de risque cardiovasculaire classiques.